PARLER DE SES PEINES, C'EST DÉJÀ SE CONSOLER
PARLER DE SES PEINES, C'EST DÉJÀ SE CONSOLER (Albert CAMUS)
Consolación….
Ce prénom à lui-seul nous dit
presque tout de ta vie…
Consolación…
Parce qu’il porte en lui à la
fois ce qui en est la cause, le besoin, mais aussi ce qui en résulte,
l’apaisement, la résilience…
La cause, ce sont les peines,
les blessures et les déchirures, celles qui ont jalonné ta vie…
Ta vie de jeune ouvrière
d’usine, d’une mégisserie dans le village de ton cœur, Molina de Aragon,
blotti au cœur des hauts plateaux de Castilla la Mancha, aux confins de
l’Aragon.
Puis d’artisane boulangère, après avoir épousé ton cher Eduardo.
Cette terre que tu as dû
quitter à regret pour rejoindre, avec vos enfants, ton époux qui était venu en
France pour trouver meilleure fortune que dans ces terres meurtries de l’Espagne
d’alors, dans ces temps si difficiles des années 60, où immigrés d’Algérie et
harkis venaient eux aussi trouver refuge en France, et particulièrement dans
notre Pays de Luchon.
Sans maîtrise de la langue,
tu as su faire front courageusement avec l’aide de quelques personnes de ton
voisinage très bienveillantes, comme Suzanne, ou Lili et d’autres qui
t’aidèrent à t’intégrer et à surmonter parfois des manifestations de rejet, ces insultes
proférées par des imbéciles dont l’espèce n’est malheureusement pas encore
éteinte.
La blessure cuisante, c’était
de quitter Juliana, ta mère chérie, restée au Pays et qui devait décéder loin
de toi.
Ce fût ensuite la perte de ton
époux et de tes deux frères Paco et Enrique, auxquels tu étais très attachée,
qui disparurent te laissant dans la peine et le chagrin. Tout comme tes amies
de toujours, restées au pays, mais qui quittèrent funestement une à une votre
quartier typique de la calle Larga.
Ce furent aussi ces années de
labeur intense et éprouvant dans l’hôtellerie, où tu jetas toutes tes forces
pour servir et coordonner les services, en bref en être la femme de confiance
de l’hôtel Panoramic.
Mais tout cela pour élever ta
famille, tes cinq enfants, dans le culte du travail, acharné et bien fait, de la
solidarité familiale que tu savais entretenir mieux que quiconque, en
rassemblant autour de toi, sous ton aile, et jusqu’au bout, de grandes tablées
conviviales et régulières, comme si elles étaient ton moteur, ta raison de
vivre.
Enfin vint cette interminable
période où ta maladie et ses séquelles t’entraînèrent dans une grande
dépendance, où tu continuas, malgré tout et avec fierté, à manifester ton sens
de l’hospitalité, de l’accueil et de la gentillesse auprès de tous ceux et
toutes celles qui venaient quotidiennement t’assister pour traverser ton propre
chemin de croix.
Ton départ ce week-end va
laisser un très grand vide…
Mais Consolación,
c’est aussi le bonheur ou l’apaisement retrouvé.
Celui de la famille et des
amis, nombreux, rassemblés autour de toi.
Celui de la réussite de tes
enfants, eux aussi déracinés très jeunes, mais qui au prix de beaucoup de
travail, d’un esprit d’entreprise ambitieux et d’une grande solidarité ont fait
ta fierté et apaisé largement ton exil.
Celui de ton quartier de la
Soledad à Molina, où la vie sociale reprenait comme par enchantement, lorsque tu venais y passer quelques mois,
organisant dans la rue et sur la placette, des parties de cartes très animées
qui faisaient sortir enfants, jeunes et moins jeunes de leurs logis.
Celui de ta foi profonde,
particulièrement pour la Vierge Marie et surtout Saint Antoine de Padoue, dont
tu tenais précieusement une petite relique dans tes mains, chaque soir avant de
t’endormir.
Ce « Saint des pauvres » disais- tu…
Croyante, car tu ne manquais
jamais, lors de tes séjours en Espagne, d’aller honorer de tes cierges, la
Virgen de la Hoz, dans son monastère au milieu des gorges du défilé du rio
Gallo.
Celui de tes plats de paëlla,
de cocido madrileño ou de soupe de poisson, que tu cuisinais de main de maître pour le
plus grand plaisir de tous.
Celui d’un amour
incommensurable pour les tiens, châtiant bien mais pardonnant tout, les fautes,
les erreurs comme les errances.
Celui de ta générosité et de
ton aide spontanée pour tous les nécessiteux et particulièrement pour ceux qui
avaient dû se résoudre eux aussi à l’exil et à l’émigration.
Voilà brossé ce que tu as été
pour nous et pour tes amis, mais aussi pour tous ceux qui t’ont connue, et on
pourrait longtemps décliner tous ces souvenirs heureux que tu nous laisses,
nous qui restons ici, en cet instant, inconsolables….
Nous, qui, bien entendu, avons encore tant besoin de…
Consolación.
"Au nom de tous les tiens "
JL R
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Mamie,
Depuis Samedi, j'éprouve un immense chagrin ; les
souvenirs s’entremêlent et les émotions m’envahissent.
Difficile de t’exprimer tout ce que je ressens, mais je
crois que je te dois bien un dernier hommage.
Alors voilà : si je devais te résumer en une phrase, je
dirais que tu aimais incroyablement la vie, les autres…tous les autres.
Car oui, c’est bien toi qui animait ton quartier de la
Soledad, à Molina de Aragon, ton village natal.
Dès que tu paraissais avec ta table de jeu sous le bras, c’était
le signal et tout le monde accourait vers notre petite place et le quartier prenait vie : les conversations
sur le pas de la porte, les fous-rires, les parties de carte et parfois même
les disputes avec les partenaires, pour
une mauvaise stratégie, car tu avais un tempérament fougueux et nous avions
souvent droit à de grands coups de poing sur la table lors des réunions de
famille, quand tu voulais marquer ainsi que tu n’étais pas d’accord.
Tous s’en
souviennent.
Vraiment, tu étais un sacré personnage !
D’ailleurs je pense que c’est en partie grâce à toi que j’ai
ce sens de la fête et cet amour charnel pour l’Espagne.
Souviens-toi, l’été de mes
14 ans, pendant les fêtes de Molina : tu m’avais réveillée à 4h du
matin pour que nous allions voir les lâchers de taureaux dans l’enceinte du cœur
de village, après le bal.
Ce jour-là, après avoir dégusté le fameux « chocolate
con churros », nous étions rentrées, au petit matin, en dansant, bras
dessus-bras dessous, derrière les bandas et surtout la banda de música de
Cuartell.
Ce fût l’un de mes meilleurs souvenirs d’enfance !
Tu adorais ta famille
et tu te démenais toujours pour que nous soyons heureux et que nous ne
manquions de rien.
Je crois d’ailleurs que c’est pour cette raison que, lorsque
tu es tombée malade, tes enfants se sont serré les coudes et ont fait de leur
mieux pour que tu puisses, malgré tout, rester chez toi.
Je suis sûre qu’aujourd’hui, tu es très fière du soutien sans
faille de ta famille.
Désormais, nous allons continuer le chemin, celui que tu
nous as indiqué et nous nous efforcerons d’en transmettre le sens à nos propres
enfants : celui de ce précieux témoin que tu as porté pour nous et que tu
nous as confié.
Merci, Mamie, pour cette authentique leçon de vie.
Coralie REDONNET
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