ULTIMES PAROLES POUR TOI, HERMINIA

 

Ultimes paroles pour toi, Herminia.


Ma chère Herminia, ma chère mère, tu as choisi de terminer ton long chemin en ce jour de Noël, telle une frêle bougie à la flamme vacillant devant un dernier souffle léger et tu t’es éteinte discrètement, sans déranger personne, après le repas, assise bien au chaud, dans un fauteuil, tout près de la cheminée d’Era Caso, devant cet âtre que tu aimais bien.

C’est ainsi que tu as apporté une conclusion au roman de ta vie en mettant ton point final au milieu de la centième page.

Un authentique roman qui s’est déroulé paradoxalement entre deux terribles parenthèses pandémiques, la grippe « espagnole » en 1920 et cette Covid 19 d’aujourd’hui, auxquelles tu avais heureusement échappé.

Et au milieu de cette funeste parenthèse, tu avais eu droit à la guerre civile espagnole, l’exil, la deuxième guerre mondiale et l’occupation allemande, avec leurs cortèges de douleurs, de privations et de souffrances.

Voilà pour qui traverse tout cela, de quoi forger une personnalité et une détermination sans faille.

Pour célébrer tes 100 ans, le 25 Mai dernier, nous avions pu organiser une petite fête en ton honneur et je t’avais dédié pour l’occasion une lettre qui retraçait assez fidèlement ta vie telle que tu l’avais menée durant ce siècle, tes amitiés, tes valeurs, tes combats.

Ceux qui n’en ont pas eu connaissance peuvent la consulter sur ce lien :

(https://leblogdemesroutes.blogspot.com/2020/06/lettre-herminia.html).

Je ne reviendrai donc pas sur les péripéties de ton existence.

Simplement pour remercier tous ceux qui ont su t’accompagner et prendre soin de toi, à ton domicile dans un premier temps avec le concours de Joëlle et des aides ménagères du CCAS de Luchon et du SSIAD, puis à Era Caso entourée de Mano, Thierry, Sandrine, Nathalie, Cyrielle, Emilie, Jean-Paul, Alaric, Habiba, Irina, Inita, Malika……et toutes leurs collègues de cette valeureuse équipe de soignants et d’accompagnants de cet EHPAD accueillant et attentif à nos aînés.

Alors nous, éblouis par cette soif de vivre de notre centenaire, un peu puérilement peut-être et assurément de façon complètement illusoire, on a vécu en se persuadant intérieurement que les nôtres et notamment toi pouvaient être immortels (ou presque) !

Surtout quand leur longévité était ainsi particulièrement remarquable.

Pour se rassurer peut-être, ou pour croire pouvoir tenir la mort, tant redoutée de tout un chacun, à distance.

Mais lorsqu’elle frappe à la porte, entre et enlève avec elle l’être cher qui va nous faire défaut à jamais, c’est un peu l’incompréhension et un certain sentiment d’incrédulité et d’injustice que l’on ressent, et ce quels que soient l’âge du défunt et les circonstances qui entourent son décès.

Car en fait, c’est bien cette peur grégaire et enfantine de l’abandon, de la perte de la mère ou du père qui refait surface tout à coup et nous fragilise intérieurement, en nous plongeant dans un chagrin profond et légitime.

Mais c’est aussi la proximité de notre propre départ qui nous interroge, parfois nous inquiète, voire nous angoisse et nous interpelle sur le sens à donner à la vie et à notre existence sociale et citoyenne.

Alors, il faut, sans tarder, que le travail de deuil s’engage et nous façonne pour retrouver un nouvel équilibre : l’absence physique de l’être cher doit se transformer en une présence mémorielle indispensable certes, mais à construire positivement, sans qu’elle ne devienne étouffante ou morbide, voire pis, mortifère.

Victor Hugo nous a autrefois indiqué poétiquement le sens et l’enjeu de ce défi :

« Tu n’es plus là où tu étais,
mais tu es partout là où je suis. »

 Chacun alors doit, en pleine conscience, choisir sa voie pour éviter de la subir.

Pour ce qui me concerne, c’est le refuge dans l’écriture que je privilégie : « écrire aux morts pour parler des vivants », porter témoignage de toute l’importance que ces êtres chers et disparus ont pu avoir dans nos destinées, du fait qu’ils ont été « des gens bien », notables ou petites gens, mais des « gens bien », à leur mesure et à celle de leurs entourages.

A la mort de mon père, Louis, c’est un peu abasourdi que je me suis trouvé, bien que je sache l’issue fatale qui lui était promise rapidement.

Pas abasourdi par la mort elle même, mais surtout par la prise de conscience brutale que l’on ne s’était pas encore assez parlé jusque là et que nous ne pourrions plus le faire.

Que j’avais encore certainement beaucoup à apprendre de lui, mais qu’il était désormais trop tard.

C’est par exemple un paradoxe que je n’ai jamais su, jusqu’à une période récente, que mon grand-père avait été porté disparu lors de la bataille de Heippes lors de la première guerre mondiale laissant mon père orphelin âgé de quatre mois. Le silence familial avait été le plus fort sans que j’en comprenne aujourd’hui la raison.

 Mon grand père maternel lui est décédé au début de la guerre civile espagnole et sa famille entière a connu l’exil pour fuir la barbarie du franquisme.

Ma mère lui a toujours voué un amour filial sans borne et une admiration qu’elle emporte encore avec elle au tombeau.

Quelles leçons tirer de ces vies brisées ?

La guerre et ses abominations, scellant des destins de façon cruelle et indélébile, voilà ce qu’il faut combattre sans relâche et sans concession. L’actualité nous le rappelle quotidiennement à longueur d’antenne et d’images ! Et ma mère était très sensibilisée à cette thématique.

Certes les choix de vie et parfois leurs hasards qui nous éloignent, nous volent un temps précieux et considérable et nous empêchent de communiquer profondément comme on l’aurait idéalement souhaité.

Mais nous, ses trois enfants, nous avons toujours eu bien conscience que nos parents avaient fait le choix de se saigner aux quatre veines pour nous permettre de prétendre à une autre vie que la leur, de pouvoir accéder par l’ascenseur de l’école de la République à des situations sociales qu’ils considéraient comme plus confortables ou plus enviables.

Lutter contre la pauvreté et la précarité, pour une meilleure justice sociale par la solidarité et l’engagement est resté un autre crédo qu’ils ont su nous transmettre.

Bien entendu, pour ce qui me concerne, à chacune des étapes d’importance de ma vie personnelle, professionnelle ou citoyenne, c’est toujours vers eux que mes pensées sont allées en premier, conscient que ces bonheurs ou ces « succès » étaient aussi un peu (et parfois beaucoup) les leurs.

Hermine, tu peux être sûre que ton empreinte bien marquée, ton exemple et ta volonté d’autodidacte, ta soif de lecture, ton goût pour la chanson, tes valeurs, ton intelligence, ton sens de la répartie et ton fier caractère nous serviront longtemps de repère et de modèle.

Nous nous efforcerons de les transmettre à nos propres enfants et petits-enfants, car c’est réellement une grande fierté pour nous que d’avoir été tes enfants, bien chéris.

Et enfin, après la tristesse légitime du deuil, c’est cet espoir vivace de lendemains qui chantent pour chacun et pour tous, que tu aurais souhaité que nous portions encore et toujours et que nous agissions pour y prétendre.

Alors, ce que nous ressentons profondément aujourd’hui pour dépasser notre peine, Paul Eluard l’a remarquablement écrit dans un poème admirable :

« La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours, puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin
Une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille,
Désir à combler,
Faim à satisfaire,
Un cœur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager. »

Adieu et surtout Merci Herminia, notre mère.

Nous nous sommes tant aimés.


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3 commentaires

  1. Magnifique hommage à votre mère et aux réfugiés espagnols,contre l'oubli de ce qu'ils vécu, elle est partie au coin du feu, certainement entourée de beaucoup d'amour.

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  2. Magnifique hommage à votre mère et aux réfugiés espagnols, vous avez réussi à lutter contre l'oubli, elle est partie au coin du feu, certainement entourée de beaucoup d'amour.

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