"S'IL VOUS PLAÎT, DESSINE MOI UNE PASSERELLE..."

"S'IL VOUS PLAîT, DESSINE MOI UNE PASSERELLE..."

Texte du discours prononcé lors des cérémonies d'inauguration de la passerelle de Péquerin, des fresques de l'église et des travaux de récupération d'énergie des Thermes de Luchon. (agrémenté de quelques photos commentées)


Bonjour à tous,
Mille excuses, mais aujourd’hui je ne serai pas très protocolaire, pour ne pas vous assommer inutilement.
Toutefois, je sais gré à Alain Castel de m’avoir confié la tâche de rendre compte du chantier de reconstruction de cette nouvelle passerelle de Péquerin, ouvrage d’art acrobatique, que je n’hésite pas à qualifier de symbole de la résilience d’un territoire profondément meurtri par la crue centennale de juin 2013.

J’ai aussi une pensée pour Jean-Pierre Bel, ancien président du Sénat qui, par l’attribution d’une subvention de 50 000€ de sa réserve parlementaire a largement contribué au développement de ce projet d’un montant de 150 000€, en y incluant la remise en état de la "Route 3404", au pied du pont Lapadé.  

La signalétique de la Route 3404
 Il a aussi fallu tracer une nouvelle piste de 300m environ au pied du Pont Lapadé
 La crue avait emporté toute la berge en rive droite...

C’est la contribution tout aussi importante (20% pour chacun) du Conseil Départemental et du Conseil Régional, dont les présidences successives ont toujours eu une oreille attentive à nos préoccupations, qui nous a permis d’aboutir.
Merci donc à Georges Méric et à Carole Delga pour leur soutien sans faille et leur présence aujourd’hui à nos côtés.

 


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Ce matin, ce sont les derniers vers d’Antonio Machado, poète sévillan  retrouvés dans la poche de sa veste à son décès le 22 février 1939, à Collioure, qui me sont venus tout de suite à l’esprit :
« Estos dias azules, y este sol de la infancia. » (Ces jours bleus, et ce soleil de l’enfance)

Pourquoi,  subitement, cet élan poétique?
Parce que, comme Machado, ou à la manière de Saint-Exupéry, je vous demanderai de retrouver quelques instants, l’enfant qui sommeille en vous, car toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants (mais peu d’entre elles s’en souviennent).

Moi, je veux vous proposer de vous entraîner dans un conte qui a débuté le 18 juin 2013, dans le formidable chaos et le vacarme des flots en furie, ravageant tout sur leur passage, expression destructrice d’une gigantesque crue centennale.

 Au pont de Juzet la crue est spectaculaire
 Les commerces et habitations durement touchés
 Le Golf recouvert de sédiments qui étouffent la pelouse
La route de Juzet coupée par les flots

Cette catastrophe, au-delà des dégâts matériels considérables,  a laissé de nombreuses et profondes blessures et souvent un choc traumatique ; et moi, Président de la communauté de communes de l’époque, je n’y ai pas échappé, comme beaucoup dans notre Pays de Luchon.
Mes pas m’ont aussitôt et invariablement conduit aux quatre coins de notre territoire, balloté de Oô à Sainte Christine, de Salles au quai Filhol, tiraillé entre le boulevard De Gorsse  et Badech, des berges de l’One jusqu’à Cier de Luchon : partout la destruction, partout la désolation…
Mais partout aussi la solidarité active…

Retirer les atterrissements sur la Pique au pont de St Mamet 
Reconstruire murs et voirie du Quai Filhol 




 Sécuriser l'entrée de St Mamet en rive droite





Dégager la plage de dépôts de sédiments de la Blanchisserie 




 Dégager et sécuriser le ruisseau de Salles
Intervenir massivement sur le barrage de sainte Christine à Montauban 


 Pour lui rendre un capacité de garde suffisante
 Beau résultat, mais que d'efforts et que d'argent englouti...

 Même opération à Oô, sur le ruisseau de Gouaux

 Curage de la Pique au Bd De Gorsse et reconstruction des murs, du trottoir et de la voirie


Sécurisation de la Rue Ramond et du stade du lycée

 Réfection de la berge de l'aire de Camping-cars
 
Réfection d'une partie de la berge du moulin de Paduran à Cazeaux...

Et tant d'autres chantiers de moindre envergure....

Dans ces parages du Gouffre Marie Louise, la passerelle métallique rigide enjambant la Pique, tout en bas, avait été véritablement pliée comme un vulgaire fil de fer et complètement arrachée de ses socles.
Alors, j’ai parcouru seul ces lieux, un peu abasourdi, assurément proche de l’état d’Antoine de St Exupéry devant son avion accidenté dans le désert ;  et vous ne me croirez pas, mais une petite voix, venue de je ne sais où, me disait chaque fois que je passais sous la tour de Castelvieil :
-« S’il vous plaît, dessine-moi  une passerelle ».
Au début, je croyais à des hallucinations auditives, mais j’ai dû me rendre à l’évidence, il était bien là, cet étrange petit personnage qui me tendait un crayon.
Nous avons dû recommencer de nombreuses fois nos croquis, pour que cette passerelle himalayenne, très aérienne, posée là, au-dessus du gouffre Marie-Louise, lui convienne enfin.
Il me raconta son existence étrange, et me parla notamment de ces baobabs qu’on avait trop tardé à arracher  et qui avaient envahi la planète : il me les dessina et son dessin effrayant était animé par le sentiment de l’urgence.
Je pensais aussitôt aux embâcles de la Neste, de l’One et de la Pique, que nous avions, nous aussi, dû retirer en toute hâte.



 Embâcles dans la Pique

Spectaculaires enlèvements d'embâcles sur la Neste à Saint Aventin 

 En faisant appel à la traction animale : une belle initiative écologique


Il me parla aussi des couchers de soleil, et m’enseigna que « quand on est tellement triste, on aime les couchers de soleil ».
Depuis, je suis régulièrement cette recommandation, dans nos montagnes du Luchonnais, ou celles du royaume de l’Aneto, car pour moi, un beau coucher de soleil est bien plus qu’une réelle consolation.
Puis, il me présenta enfin son ami le renard, qui lui avait prodigué de précieux conseils. J’écoutais notre Goupil, qui me susurra : « Tu diras à tes amis et à tous ceux qui ont travaillé là,  que c’est le temps que vous avez perdu pour votre passerelle qui fait votre passerelle si importante »
 On héliporte le béton et les matériaux de chantier

 On fait appel à l'hélico pour poser les cables supports en traversant l'abîme...

 Des ancrages à plus de 6m de profondeur dans la roche et la pose de suspentes...

 Puis on pose des traverses qui relient les suspentes...

 On finalise en rive droite et on pose les gardes-corps

 La passerelle prend forme et on pose l'escalier d'accès...

 On procède aux essais en charge avec le bureau de contrôle...
 On aménage les abords et les accès...en rive droite

 Puis en rive gauche...
 Un sérieux contrôle général des travaux avant la réception de l'ouvrage...

Et voilà le travail ! 
Prêt pour le passage de l'Aneto trail !

Je transmets donc ce message à Olivia, Ségolène, Emilie, Annie ,Paule , Laurence, Philippe, John, Sophie, Alain, Patrick, techniciens et élus de la communauté de communes, à Jérôme Escoubas, de l’entreprise Extrem, avec Jéremy, Conducteur de travaux, et Maxime, chef de chantier, Rémi et Mickaël, Cordistes et Laurent, chauffeur , Brice Pagès, pilote  de l’entreprise HELIBEARN, les techniciens de TechFun,  ceux de Pyrénées Etudes Ingénierie, ceux de IMSRN Pyrénées, le bureau de contrôle Véritas, le cabinet Wiegert , l’entreprise Pène pour la réfection de la route 3404, les agents responsables de la DREAL, et les responsables de l’ONF.

« Maintenant, lui dis-je, nous sommes devant une réalisation technique remarquable, originale, esthétique et attrayante, dont nous sommes très fiers ! »
Quand je lui eus tenu ces propos, le renard en convint ; mais il ajouta : « Certes, certes…mais on ne voit bien qu’avec le cœur.
L’essentiel est invisible pour les yeux. »

Une fois ces mots prononcés, le petit bonhomme et son ami le renard enjambèrent la rambarde et se jetèrent d’un saut dans le vide.
 « Ils tombèrent doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable du lit de la rivière ». 
Et ils disparurent rapidement, emportés par les flots de la Pique.
Je suis resté longtemps interloqué par les propos du renard, mais peu à peu, j’ai depuis compris combien  ils étaient chargés de sens et combien il avait raison.
L’importance de cette passerelle, au-delà de l’intérêt touristique immédiat par la remise en service du sentier N° 4 qui raccorde le N°3 venu du Bosquet des Thermes à la Cascade de Sidonie ou au 18 et 19 vers le Bois Neuf et Couradilles,  ce sont les symboles qu’elle véhicule : elle jette un pont entre Luchon et Saint-Mamet, trop souvent et si stupidement opposés,  en ré-ouvrant cette fameuse route 3404 entre Bagnères de Luchon et Bénasque, entre le Comminges et l’Aragon, ou encore avec le Val d’Aran par les chemins des échanges économiques et pastoraux ancestraux, fondés sur les traités du Plan d’Arrem en 1513, ou par les voies de la contrebande, par les passages des armées, des randonneurs et des montagnards, et surtout des réfugiés politiques espagnols, des juifs et des résistants, victimes des mêmes barbaries, fascistes et nazies.

Cela doit nous amener bien évidemment à réfléchir à l’accueil et à la solidarité à organiser avec et pour ces migrants d’aujourd’hui, fuyant la mort ou la famine, souvent aussi  pour échapper à des régimes barbares  et totalitaires.
De ces régimes qui détruisent les livres, les manuscrits et le patrimoine architectural, de Tombouctou à Palmyre, vandalisant tout sur leur passage, obéissant aux ordres de dictateurs comme Franco, Hitler, Pinochet , Pol Pot, hier, Ben Laden, Hafez el Assad ou Mohamed Al Baghdadi aujourd’hui, tuant sans remords et sans vergogne, souvent sous les bombes, les populations civiles, éliminant les artistes et les poètes dits subversifs, comme Neruda,  Garcia Lorca, ou Machado, mort en exil, à peine entré en France.

C’est pourquoi je tiens à lui rendre aussi un bref hommage,  à lui cet immense poète, cet agitateur de consciences, en célébrant cette passerelle et cette route, par la lecture de quelques uns de ses vers,  et ce sera ma conclusion, car moi aussi : 
Yo voy soñando caminos. (Moi, je rêve de chemins…)

Caminante, no hay camino 
Voyageur, il n'existe pas de chemin
Todo pasa y todo queda, 
Tout passe et tout demeure,
pero lo nuestro es pasar,
mais le propre de l'homme est de passer,
pasar haciendo caminos,
passer en traçant des chemins,

Caminante no hay camino,
Toi qui voyages, il n'existe pas de chemin,
se hace camino al andar...
le chemin se fait en marchant...

Golpe a golpe, verso a verso.
Coup après coup, vers après vers.


Alors, amis, si un jour vous empruntez  cette passerelle, songez un peu au Petit Prince et beaucoup à Antonio Machado….





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2 commentaires

  1. Vous avez écrit un texte et fait un reportage photo très beaux: un sacré travail, magnifique et plein de poésie. Enfin, j'adore Le Petit Prince et la passerelle et superbe. helene-bonnet-34@orange.fr et je suis une amie de PJ GM.

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  2. Bravo pour votre persévérance et le travail accompli.
    Magnifique discours et très juste de surcroît.
    Sandrine Renard

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