MA LETTRE A PIERRE.
Salut Pierre.
C’est avec une grande tristesse que j’ai appris ton décès par un message de ta fille Anaïs. Certes depuis bien longtemps, nous n’avions plus guère l’occasion de nous voir, si ce n’est lors de tes visites à ta maman, Paule, lorsque tu venais régulièrement à Luchon l'accompagner de ton affection jusqu’à son dernier souffle.
Notre première rencontre date de l’école maternelle de
Luchon chez Mme Cantaloup notre instit adorable et Marcelle Tiné, notre gentille ATSEM ;
la photo qui accompagne mon texte en témoigne : toi, Pierre, fier fils
d’une mère postière et d’un père cheminot, tu sièges à côté d’Ali Mohamed,
hélas décédé bien jeune et on y retrouve quelques autres futurs « camarades »,
Jean-François Subercaze, (dit Sussu), à côté d’Alain Guérin, lui aussi
tragiquement disparu.
Puis ce fut l’école primaire de la Place du Marché, où, malgré ton sobriquet « Minus », sûrement attribué pour ton allure chétive (pour moi à l’époque c’était « Pistoulet », donné par un instit stupide, en raison probablement de ma petite taille), tu faisais partie des « cacous » de CM2, classe de notre instit Jojo Pradère, classe assez « difficile », où j’avais débarqué après avoir « sauté ma fin de CM1 ».
Déjà leader, tu étais un fumeur précoce de P4 (les Parisiennes
vendues par paquets de 4 cigarettes) sur les hauteurs de la Casseyde, à la
sortie des cours, où tu fricotais volontiers avec quelques filles délurées de
la Maison d’enfants du «couvent Sainte Christine» de Montauban de Luchon : c’était assez
fascinant pour le minot que j’étais à l’époque ! Ambiance un peu
« Guerre des boutons ».
Puis le temps a passé, chacun de son côté, pendant les années
lycée et enfin les retrouvailles à la fac.
Mais, ce qui allait nous unir de façon indélébile, et qui
nous habite encore même cinquante ans après, ce sont ces partages, cette
complicité et cette amitié fraternelle qui nous rassemblaient tous, dans les
années 68, tous ceux qui ont connu et contribué à créer le Foyer des Jeunes et
d’Education Populaire, présidé par l’ami Claude Lupiac(dit Lulu), qui avait sa
base logistique à la villa Eolienne au LEP du Bois Chantant, rasée depuis, et qui
comptait dans ses rangs de sacrées personnalités, dont mon frère Pierre (dit
Titiche), le barbu Francis Roca (dit Zorba), Christian Petit(dit Béjart)
danseur, chorégraphe et dessinateur hors pair, Betty Gonzalez-Abo ou Nini Rufo,
deux chanteuses talentueuses et tant d’autres…
Ce sont aussi ces mêmes années, riches de militantisme, à la
JC, à l’UEC, au PCF, à l’UNEF Renouveau, les ventes de l’Huma Dimanche au porte-à-porte
à Luchon, les dizaines de marches et de manifs à Toulouse en soutien au Chili
contre Pinochet (Assassinat d’Allende, assassinat et torture du chanteur Victor
Jara, dont la chanson « El derecho de vivir en paz » reprend
aujourd’hui une singulière acuité à Gaza ), au Cuba de Castro, au Che et à l’Amérique
latine et l’Angola, aux Anti-franquistes (exécution de l’anarchiste Puig-Antich),
aux Basques, contre la guerre au Vietnam,… et tant d’autres combats
internationalistes de ces années formidables.
Pourtant, les années post 68 n’ont pas toujours été simples
à Toulouse, notamment pour les tractages à la fac de Droit et de Sciences Eco,
où il fallait faire face non seulement aux fachos d’Ordre Nouveau omniprésents,
mais aussi aux maoïstes et trotskistes de tout poil, certains particulièrement
actifs et agressifs envers nous, en ces temps-là.
Mais elles demeurent de belles années étudiantes et
militantes où, quand je ne faisais pas la popote pour tous, nous déjeunions
régulièrement au Clos Normand, restau U cogéré par l’UNEF, et où nous
partagions une colocation Rue des Blanchers, avec Lulu, Sussu et toi, tous
trois maîtres d’internat en présence alternée dans l’appartement, et un invité
quasi permanent Claude Bavencove.
De nombreuses aventures mémorables dans cet appartement et
des soirées animées, souvent monopolisées par toi, Léo Ferré, Georges Brassens
et Jean Ferrat, mais surtout par ta chouchou Colette Magny jusqu’au bout de nos
nuits : « Mélocoton et Boul d’Or, Deux gosses dans un jardin…[ ]»
J’assistais alors en « passager clandestin », avec
ta complicité, à tes cours de philo ou de linguistique dans les préfas de
l’Arsenal, extension de la fac de Lettres, moi qui menais des études de
Sciences économiques tout à côté : c’était le temps où Marx, Gramsci,
Althusser, Derrida, et Noam Chomsky, Ferdinand de Saussure, Umberto Eco, parmi
tant d’autres, étaient tout en haut de ton Top 50 !
C’étaient aussi les retrouvailles traditionnelles du
vendredi en fin d’après-midi, quartier Saint-Sernin, chez Albert Haffner, où
nous rejoignions son frère Claude (dit Patsim), et d’autres camarades
luchonnais pour partager camembert, jambon, saucisson et vin rouge avant de
prendre ensemble le train pour passer les week-ends à Luchon.
C’est dans ces temps bénis que tu avais rencontré et séduit Bernadette,
une jeune et belle trotskiste lotoise, militante LO, qui t’avait fait tomber en amour, toi, le
dragueur invétéré, et avec qui tu ne tardas pas à partager la vie et à créer
une famille.
Mais je me remémore aussi de quelques autres souvenirs
inoubliables, comme nos sorties en montagne et notamment notre expédition pour
l’Aneto avec Lulu, son neveu « Tribillix », Robert Goxe, et Robert
Llamas : montée de nuit au refuge du Boum où, pour fêter dignement un anniversaire
et un anniversaire de mariage, Robert Llamas, notre chef cuistot, nous avait concocté
des steaks au poivre de derrière les fagots, arrosés comme il se devait.
Il nous avait fallu la journée du samedi pour nous en
remettre et gagner, en traînant les godasses, le refuge de la Rencluse, bondé
comme à l’habitude, dans l’ambiance étouffante des odeurs de fauves.
Le lendemain, après un départ à 5h du matin, nous avions,
bien encordés, effectué la traversée épique du glacier et de ses crevasses, où
les patous de la Rencluse faisaient une halte pour nous indiquer le danger
devant chacune d’entre elles, puis repartaient à la suivante. Nos crampons à
glace « bottaient » souvent, occasionnant ainsi de belles glissades. Enfin,
le franchissement très aérien du Pas de Mahomet où tu avais fait un blocage dû
au vertige et où je t’avais un peu « rudement » houspillé pour le
franchir. (Je me le reproche quelque peu aujourd’hui). Mais nous avions finalement
atteint le sommet vers 11h, et effectué le retour sur la Rencluse, l’Hospice de
France puis sur Luchon, d’un seul trait, passablement éreintés pour assister à
la soirée du Corso de la fête des fleurs 1971.
Un autre road-movie marquant dans tes terres actuelles de
Martigues, avec Lulu et toi, à la recherche infructueuse de notre ami Roger Peyge
(Popeye) du côté de Istres, nous avait conduit bien malgré nous, la première
nuit, à roupiller sur le sable d’une plage près de Marseille et le deuxième
jour, après un arrêt dans un boui-boui où une serveuse plantureuse avait dressé
la table en retournant la nappe en papier tâchée de nos prédécesseurs et en la survolant
d’un geste vif avec un torchon douteux. Nous étions environnés de mines
patibulaires et « cheloues », aux conversations plutôt inquiétantes. Après
avoir avalé notre frugal repas en moins de deux, nous étions partis sans oser protester,
ni demander notre reste. Nous avions rodé dans la nuit avant de découvrir un
endroit obscur où planter notre tente. Ce n’est qu’au matin que nous avions pu
constater que nous avions dormi au cœur d’une espèce de décharge sauvage. Dépités,
nous avions décidé de battre en retraite et de regagner tout penauds nos chères
Pyrénées sur le champ.
Gravé bien sûr dans nos mémoires, le Bar le Pénalty d’Eugène
et Simone Lafont, qui était notre quartier général, presque notre deuxième
foyer, les fiestas, les soirées un peu arrosées, les bals des fêtes locales (où
parfois notre ami Jojo Sorigué entassait filles et garçons dans le Tub Citroën
de son père Manu, primeur renommé sur Luchon et sympathique dirigeant du BLS,
notre club de foot local, pour nous y conduire, nous qui n’avions pas tous des
voitures) : bien sûr il déchargeait sa cargaison discrètement avant
l’entrée des villages ! Quelle jeunesse échevelée mais si solidaire !
Que dire des soirées entre amis à Saint-Aventin, à Lys ou à
Luchon chez notre camarade Bébert Oustalet, dit «Buggs», dont l’accueil était
toujours appréciable et apprécié ?
Je pourrais encore écrire de nombreuses lignes sur cette tranche
de notre vie bouillonnante et de notre lointaine jeunesse si riche d’amitiés qui
restent à jamais présentes dans nos cœurs.
Alors bien sûr, la vie professionnelle, et la vie tout court
nous a tous dispersés, souvent éloignés et pas que spatialement ou
géographiquement.
Mais nos convictions profondes, je crois, nous ont toujours
ancrés dans l’engagement social, citoyen, ou associatif, même si des
divergences idéologiques ou organisationnelles nous ont amenés, pour certains, à
déserter le champ strictement partisan et à choisir d’autres voies d’expression
et d’accomplissement.
Toi, tu es resté un militant communiste jusqu’au bout, un
homme d’appareil et de conviction, toujours prêt à mouiller la chemise pour les
plus humbles et les plus démunis. Et cette fidélité à tes principes t’honore et
te définit parfaitement.
Voilà ce que j’avais envie de te dire, sur le quai des
départs, mon cher Pierre, sans larmoyer mais en t’assurant que tu fais partie,
pour moi, de ceux qui ont donné du sens et du bonheur dans ma vie.
Je pense bien sûr à ta famille, à ton épouse et tes enfants
que je ne connais pas, à Bernadette aussi qui nous a quittés prématurément il y
a 10 ans, à tes sœurs Danièle et Martine et à tous tes parents, amis et
camarades qui ont eu la chance de te côtoyer, de partager de beaux moments avec
toi, graves ou joyeux, et d’apprécier tes qualités humaines.
Adieu Pierre, adieu l’ami.
Qui cau partir !
Tornarei un beth matin, amic !
Qu’ei açi qui cau fenir,
Shens nat brut, shens nat chepic.
« Au revoir, camarade
Il faut partir
Je reviendrai par un beau matin, l’ami !
C’est ici qu’il nous faut finir,
1 commentaires
Cette lettre est émouvante pleine de souvenir de cette enfance puis vie d adulte
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