dimanche 27 décembre 2020

ULTIMES PAROLES POUR TOI, HERMINIA

 

Ultimes paroles pour toi, Herminia.


Ma chère Herminia, ma chère mère, tu as choisi de terminer ton long chemin en ce jour de Noël, telle une frêle bougie à la flamme vacillant devant un dernier souffle léger et tu t’es éteinte discrètement, sans déranger personne, après le repas, assise bien au chaud, dans un fauteuil, tout près de la cheminée d’Era Caso, devant cet âtre que tu aimais bien.

C’est ainsi que tu as apporté une conclusion au roman de ta vie en mettant ton point final au milieu de la centième page.

Un authentique roman qui s’est déroulé paradoxalement entre deux terribles parenthèses pandémiques, la grippe « espagnole » en 1920 et cette Covid 19 d’aujourd’hui, auxquelles tu avais heureusement échappé.

Et au milieu de cette funeste parenthèse, tu avais eu droit à la guerre civile espagnole, l’exil, la deuxième guerre mondiale et l’occupation allemande, avec leurs cortèges de douleurs, de privations et de souffrances.

Voilà pour qui traverse tout cela, de quoi forger une personnalité et une détermination sans faille.

Pour célébrer tes 100 ans, le 25 Mai dernier, nous avions pu organiser une petite fête en ton honneur et je t’avais dédié pour l’occasion une lettre qui retraçait assez fidèlement ta vie telle que tu l’avais menée durant ce siècle, tes amitiés, tes valeurs, tes combats.

Ceux qui n’en ont pas eu connaissance peuvent la consulter sur ce lien :

(https://leblogdemesroutes.blogspot.com/2020/06/lettre-herminia.html).

Je ne reviendrai donc pas sur les péripéties de ton existence.

Simplement pour remercier tous ceux qui ont su t’accompagner et prendre soin de toi, à ton domicile dans un premier temps avec le concours de Joëlle et des aides ménagères du CCAS de Luchon et du SSIAD, puis à Era Caso entourée de Mano, Thierry, Sandrine, Nathalie, Cyrielle, Emilie, Jean-Paul, Alaric, Habiba, Irina, Inita, Malika……et toutes leurs collègues de cette valeureuse équipe de soignants et d’accompagnants de cet EHPAD accueillant et attentif à nos aînés.

Alors nous, éblouis par cette soif de vivre de notre centenaire, un peu puérilement peut-être et assurément de façon complètement illusoire, on a vécu en se persuadant intérieurement que les nôtres et notamment toi pouvaient être immortels (ou presque) !

Surtout quand leur longévité était ainsi particulièrement remarquable.

Pour se rassurer peut-être, ou pour croire pouvoir tenir la mort, tant redoutée de tout un chacun, à distance.

Mais lorsqu’elle frappe à la porte, entre et enlève avec elle l’être cher qui va nous faire défaut à jamais, c’est un peu l’incompréhension et un certain sentiment d’incrédulité et d’injustice que l’on ressent, et ce quels que soient l’âge du défunt et les circonstances qui entourent son décès.

Car en fait, c’est bien cette peur grégaire et enfantine de l’abandon, de la perte de la mère ou du père qui refait surface tout à coup et nous fragilise intérieurement, en nous plongeant dans un chagrin profond et légitime.

Mais c’est aussi la proximité de notre propre départ qui nous interroge, parfois nous inquiète, voire nous angoisse et nous interpelle sur le sens à donner à la vie et à notre existence sociale et citoyenne.

Alors, il faut, sans tarder, que le travail de deuil s’engage et nous façonne pour retrouver un nouvel équilibre : l’absence physique de l’être cher doit se transformer en une présence mémorielle indispensable certes, mais à construire positivement, sans qu’elle ne devienne étouffante ou morbide, voire pis, mortifère.

Victor Hugo nous a autrefois indiqué poétiquement le sens et l’enjeu de ce défi :

« Tu n’es plus là où tu étais,
mais tu es partout là où je suis. »

 Chacun alors doit, en pleine conscience, choisir sa voie pour éviter de la subir.

Pour ce qui me concerne, c’est le refuge dans l’écriture que je privilégie : « écrire aux morts pour parler des vivants », porter témoignage de toute l’importance que ces êtres chers et disparus ont pu avoir dans nos destinées, du fait qu’ils ont été « des gens bien », notables ou petites gens, mais des « gens bien », à leur mesure et à celle de leurs entourages.

A la mort de mon père, Louis, c’est un peu abasourdi que je me suis trouvé, bien que je sache l’issue fatale qui lui était promise rapidement.

Pas abasourdi par la mort elle même, mais surtout par la prise de conscience brutale que l’on ne s’était pas encore assez parlé jusque là et que nous ne pourrions plus le faire.

Que j’avais encore certainement beaucoup à apprendre de lui, mais qu’il était désormais trop tard.

C’est par exemple un paradoxe que je n’ai jamais su, jusqu’à une période récente, que mon grand-père avait été porté disparu lors de la bataille de Heippes lors de la première guerre mondiale laissant mon père orphelin âgé de quatre mois. Le silence familial avait été le plus fort sans que j’en comprenne aujourd’hui la raison.

 Mon grand père maternel lui est décédé au début de la guerre civile espagnole et sa famille entière a connu l’exil pour fuir la barbarie du franquisme.

Ma mère lui a toujours voué un amour filial sans borne et une admiration qu’elle emporte encore avec elle au tombeau.

Quelles leçons tirer de ces vies brisées ?

La guerre et ses abominations, scellant des destins de façon cruelle et indélébile, voilà ce qu’il faut combattre sans relâche et sans concession. L’actualité nous le rappelle quotidiennement à longueur d’antenne et d’images ! Et ma mère était très sensibilisée à cette thématique.

Certes les choix de vie et parfois leurs hasards qui nous éloignent, nous volent un temps précieux et considérable et nous empêchent de communiquer profondément comme on l’aurait idéalement souhaité.

Mais nous, ses trois enfants, nous avons toujours eu bien conscience que nos parents avaient fait le choix de se saigner aux quatre veines pour nous permettre de prétendre à une autre vie que la leur, de pouvoir accéder par l’ascenseur de l’école de la République à des situations sociales qu’ils considéraient comme plus confortables ou plus enviables.

Lutter contre la pauvreté et la précarité, pour une meilleure justice sociale par la solidarité et l’engagement est resté un autre crédo qu’ils ont su nous transmettre.

Bien entendu, pour ce qui me concerne, à chacune des étapes d’importance de ma vie personnelle, professionnelle ou citoyenne, c’est toujours vers eux que mes pensées sont allées en premier, conscient que ces bonheurs ou ces « succès » étaient aussi un peu (et parfois beaucoup) les leurs.

Hermine, tu peux être sûre que ton empreinte bien marquée, ton exemple et ta volonté d’autodidacte, ta soif de lecture, ton goût pour la chanson, tes valeurs, ton intelligence, ton sens de la répartie et ton fier caractère nous serviront longtemps de repère et de modèle.

Nous nous efforcerons de les transmettre à nos propres enfants et petits-enfants, car c’est réellement une grande fierté pour nous que d’avoir été tes enfants, bien chéris.

Et enfin, après la tristesse légitime du deuil, c’est cet espoir vivace de lendemains qui chantent pour chacun et pour tous, que tu aurais souhaité que nous portions encore et toujours et que nous agissions pour y prétendre.

Alors, ce que nous ressentons profondément aujourd’hui pour dépasser notre peine, Paul Eluard l’a remarquablement écrit dans un poème admirable :

« La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours, puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin
Une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille,
Désir à combler,
Faim à satisfaire,
Un cœur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager. »

Adieu et surtout Merci Herminia, notre mère.

Nous nous sommes tant aimés.


samedi 29 août 2020

SURFACE

SURFACE
Olivier NOREK
Pocket


J'avais découvert Olivier Norek avec son magnifique 'Entre deux mondes".
Et ce nouvel ouvrage, "Surface", ne m'a pas déçu.
Une intrigue savamment menée, avec une héroïne Noémie Chastain, défigurée lors d'une arrestation d'un malfrat, et que sa hiérarchie envoie en mission contre sa volonté en Aveyron  dans l'ancien bassin houiller et sidérurgique de Decazeville, pour statuer sur la pérennité d'un commissariat de Police Nationale.
Mais cette "mise au vert" qu'elle ressent comme une mise au placard, va lui permettre de révéler et de résoudre une vieille affaire oubliée et au final servir de tremplin à la résilience et à la reconstruction narcissique de cette valeureuse capitaine des Stups.
Une chronique villageoise judicieuse, dans ces contrées où tout le monde se connait, où la crise économique est passée avec ses séquelles sociales et ses rapports interpersonnels et familiaux pesants et sensibles.
Des personnages psychologiquement bien fouillés et bien campés, un rythme soutenu et de nombreux rebondissements font de ce polar une vraie réussite.
Olivier NOREK est bien une valeur sûre du genre.
A lire sans tarder.

jeudi 27 août 2020

MA CABANE, Une échappée sauvage.

MA CABANE, Une échappée sauvage.
Olivier GARANCE avec Delphine SAUBABER
L'ICONOCLASTE



Voilà un livre qui m'a parlé, parce qu'il a exprimé simplement ce que cette montagne des Pyrénées centrales, "notre montagne", a comme pouvoir d'attraction par sa beauté et son caractère encore préservé, parfois quasi sauvage ; ce qu'elle suscite aussi chez moi de respect, d'humilité et ce qu'elle offre de capacité de se ressourcer d'une manière simple, basique, à deux pas de chez nous, puisque ces échappées ont pour cadre la montagne du Mont Aspet, près de Nistos.
Olivier Garance nous y décrit aussi sa trajectoire personnelle de gamin difficile, émaillée de ruptures douloureuses, et nous montre bien que malgré sa réussite, on ne guérit jamais complètement de son enfance, même si l'avancée en âge nous permet parfois de mieux en comprendre les causalités complexes.
J'y ai retrouvé des traces d'un Sylvain Tesson dans son immersion dans la nature, son rapport au temps et son besoin d'échapper à la vie citadine, à ses conventions et à leurs absurdités pesantes tant dans la vie professionnelle que dans l'existence quotidienne. 
On a besoin de ces cabanes, de ces refuges, de ces sentiers perdus, même si ce n'est que pour peu de temps : c'est vital pour notre équilibre personnel.
Une agréable et saine lecture.

Mais Clara Dupont-Monod, chroniqueuse sur France Inter, en a parlé mieux que moi :

"https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-clara-dupont-monod/la-chronique-de-clara-dupont-monod-13-juin-2019"




mercredi 26 août 2020

CE QUE TU AS FAIT DE MOI

CE QUE TU AS FAIT DE MOI
Karine GIEBEL
Belfond.



La lecture de ce roman splendide et déstabilisant sur la passion extrême, sans bornes, sans loi, vous laisse pantois et souvent partagé par des sentiments contradictoires.
Bati sur les confessions croisées des deux protagonistes principaux interrogés par leurs collègues, durant toute une nuit, deux policiers broyés par les effets d'une passion amoureuse irrépressible et qui les a conduit à leur perte, bafouant tout ce qui semblait être leur idéal de vie sentimentale et professionnelle.
La frontière entre le bien et le mal est en constante remise en cause, les personnages d'apparence si forts, sont au fond si fragiles et si troubles que l'on a du mal à suivre leur conduite et leurs agissements contraires à leur prétendue éthique personnelle et professionnelle.
Un roman que l'on ne quitte pas, addictif, douloureux et bouleversant, qui ébranle nos repères et nos certitudes.
Un coup de poing autant qu'un coup de cœur.
Karine GIEBEL est bien une des références du roman noir français, et international.


DES NŒUDS D'ACIER

DES NŒUDS D'ACIER
Sandrine COLLETTE
Livre de poche



Superbe écriture, maîtrise du suspens : Sandrine COLLETTE est une grande auteure.
Un récit terrifiant et glaçant, qui m'a rappelé par certains aspects le fameux film DELIVRANCE, de John BOORMAN, immense succès de 1972 et dont la scène des banjos est restée un moment culte dans nos mémoires.

Théo, sort de prison pour avoir tabassé son frère au point d'en avoir fait un déficient mental et physique profond. Il lui rend visite pour constater son état, malgré l'interdiction qui lui est faite. 
Il est surpris, s'enfuit et cherche à se faire oublier dans une contrée peu fréquentée de la France profonde, où il se présente en touriste. 
Il s'adonne donc à la randonnée.
Jusqu'au jour où il va à son insu courir et concrétiser l'impensable risque de devenir un esclave, un chien plus précisément, parce que il aura eu l'audace de s'aventurer dans un de ces derniers endroits reculés, où les forêts sont noires et profondes, et dont la densité de population s'apparente à celle de la Lozère. Là il devient la proie de deux frères absolument dégénérés, à la violence bestiale...

Un récit hallucinant et addictif, où l'on souffre profondément au diapason du héros.
J'ai adoré ce roman bien qu'il soit anxiogène, mais tellement bien mené jusqu'à son terme.
Chapeau Sandrine COLLETTE.

mardi 25 août 2020

L'ÉTÉ DES CHAROGNES

L'ÉTÉ DES CHAROGNES
Simon JOHANNIN
Roman Poche

Simon JOHANNIN ne fait pas dans la dentelle, ni dans la délicatesse, ni dans l'atermoiement.

Ce roman à l'écriture violente, sans fard, décrit une enfance dans un espèce de tiers lieu rural, La Fourrière, où s'entassent et vivent des relégués, des parias, des repris de justice, des paysans dans une ambiance fétide de charognes issues d'abattoirs, où les gamins dépècent des agneaux, martyrisent des chiens, ramènent leurs parents en voiture après des beuveries magistrales, jouent ingénument au milieu des carcasses d'animaux. 
Les déchets s'entassent, dégoulinent, l'odeur de la mort pénètre dans toutes les maisons et imprègne tous les corps. 
Ainsi passe une enfance et une adolescence, brutale mais assumée par tous.
Mais comme tout a une fin, il faut partir et se confronter à la ville et à ses lumières.
Chercher un futur, un ailleurs, un paradis artificiel.
Un rite de passage vers la vie adulte, mais laquelle ?

Une belle plume, mais j'avoue une rupture entre la seconde partie et la première que j'avais trouvée assez magistrale.
La seconde m'a un peu perdu et désorienté.
Toutefois ce livre est assez décoiffant par sa simplicité et son style direct et sans fard.

lundi 13 juillet 2020

ET TOUJOURS DES FORÊTS

ET TOUJOURS DES FORÊTS
Sandrine COLLETTE
JC-LATTÈS




Dans ma frénésie de lectures adolescentes, j'avais beaucoup été marqué par Ravage, le roman post apocalyptique que René Barjavel avait écrit en 1943.
Mais depuis lors, l'homme moderne a persisté et multiplié les atteintes mortelles à la nature et à l'environnement par l'usage de l'énergie atomique à Hiroshima et Nagasaki, à Mururoa et sur tous les sites où s'effectuent encore des "essais", par les "accidents" nucléaires deTchernobyl, ou de Fukushima, les accidents chimiques de Bhopal, de Seveso, les immenses incendies en Australie, en Amazonie, en Californie, les extraordinaires sécheresses en Afrique, les déforestations massives au Brésil, en Indonésie ou à Bornéo et j'en passe...
La réalité dépasse déjà la fiction !
Un changement climatique évident, avec un réchauffement constant et très alarmant de la planète, des cataclysmes naturels de plus en plus fréquents : tsunamis, glissements de terrains, inondations torrentielles...
Mais où va notre planète et où allons nous la mener ?

Sandrine Collette nous propose une projection dans un nouveau monde, post catastrophe planétaire, avec Corentin son héros, le fils non désiré et quasi abandonné par sa mère, qui au cours de ses études vit des aventures dans les catacombes parisiennes qui le sauveront paradoxalement des conséquences immédiates de cet événement dont on ne connait ni les causes ni les véritables formes mais qui de son souffle brûlant laisse une terre complètement ravagée et calcinée, peut être radioactive, et des millions de morts, humains ou animaux.
Une seule idée en sa tête traumatisée : retrouver Augustine, sa grand mère, en faisant la route vers les Forêts de son enfance, où il pense la retrouver. Mais c'est un périple extrêmement épuisant tant physiquement que moralement...

Il faut lire ce livre poignant, dur, dont l'écriture particulière, courte et syncopée parfois, colle intimement avec ce qu'elle veut délivrer comme message ou comme sentiment, alliant délires traumatiques, angoisses et prévalence de l'élan vital et du désir inconscient de conservation de l'espèce, puis progressivement de redécouverte d'une forme d'instinct grégaire.
Comment retrouver les siens, comment les faire vivre ou subsister dans cet univers sans saisons et sans soleil, dans une grisaille perpétuelle et des décors carbonisés et ouverts aux pluies acides, au froid et à la neige, comment engager une résilience complexe et contradictoire, comment assurer sa descendance, en un mot comment survivre quotidiennement et perpétuer une espèce de race humaine, dont certains survivants ne sont pas foncièrement bienveillants et surtout dans ces périodes de détresse profonde...

Autant de questions auxquelles nous confronte crûment Sandrine COLLETTE qui signe là un beau roman qui nous interpelle en filigrane sur nos responsabilités en matière environnementale et nous appelle à un sursaut d'humanité, tant qu'il est encore temps, pour éviter à nos enfants de retourner (au mieux) à la Guerre du feu...

mardi 7 juillet 2020

LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES

LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES
Delia Owens
Seuil.




La littérature américaine est riche de ces récits où des enfants développent un lien profond avec la nature au point d'y reprendre une place en totale communion avec elle et tous les animaux, les végétaux qui la peuplent, les conditions atmosphériques qui en scandent et rythment sa vie.
Huckleberry Finn, après Tom Sawyer de Mark Twain, et plus récemment Turtle Alveston, l'héroïne de My absolute Darling de Gabriel Tallent, marquent de leur empreinte leur lien indestructible avec  la mère nature et nourricière.
Ici, Kya, la Fille des marais, nous entraîne dans une splendide aventure où les abandons successifs de sa mère puis de tous les siens lui impose le "choix " de survivre seule au milieu de marais hostiles de Caroline du Nord, où se côtoient nombre de déshérités ou d'exclus.
Des rencontres positives lui permettent de survivre d'abord, celles de Mabel et Jumping, puis, après son refus d'intégrer l'école, d'apprendre à lire grâce à son ami Tate, un autre amoureux des marais et bientôt son amoureux tout court, mais qui va la quitter pour poursuivre ses études.
La rencontre enfin avec Chase Andrew qui va la séduire, et la tromper.
Mais l'assassinat de celui ci dans les marais va déclencher une enquête qui débouchera sur l'inculpation de Kya et son procès.
Je n'irai pas plus loin pour ne pas déflorer complètement l'intrigue d'un livre qui mérite largement d'être lu, surtout dans la période actuelle où les valeurs de respect de la nature et de sa connaissance retrouvent un sens plus concret et plus profond.
Très bon premier roman de Délia Owens qui a rencontré un succès d'estime déjà considérable!

TOUTES BLESSENT, LA DERNIÈRE TUE

TOUTES BLESSENT, 
LA DERNIÈRE TUE

Karine GIEBEL
Roman Poche

Un pavé de près de 800 pages, mais quel pavé !
De ceux qui vous percutent si violemment qu'ils vous laissent page après page des traces indélébiles,  au point de vous en imposer une lecture la plus intense et suivie possible, jusqu'au final, malgré le dégoût profond et l'incrédulité pour les degrés franchis dans le registre de l'horreur qu'il suscite.
C'est la saga d'une esclave des temps modernes, comme il en existe encore tant dans nos sociétés dites évoluées, une enfant marocaine de 8 ans, "achetée" à son père qui croit faire son bonheur l'envoyant en France, mais qui va devenir l'esclave clandestine de sa bourrelle et de tous ceux chez qui elle est envoyée travailler dans les pires conditions : Tama va subir une interminable descente aux enfers dans la violence, la torture, les mauvais traitements, la famine, le manque de sommeil.
Effroyable récit qui va s'illuminer toutefois des éclairs de l'amour passion absolu et de rencontres qui lui permettront de surnager, dans cet océan glacial et mouvementé de turpitudes et de barbarie.
Marguerite, Izri bien sûr, Wassila, Tayri, et l'énigmatique Gabriel restent les phares qui guideront sa traversée vers le bonheur inaccessible.
Mais nous rencontrons aussi des personnages parfaitement campés dans les milieux de la délinquance et l'auteure nous livre  un épilogue flamboyant et illuminé d'un amour fou et rédempteur.

J'ai dévoré ce livre, cette quête éperdue du bonheur et d'une forme de justice, que l'écriture admirable de Karine Giebel rend possible, même dans les moments les plus insoutenables et les plus inimaginables.
Une réussite littéraire sur un thème particulièrement dérangeant et souvent parfaitement criminel.

mardi 9 juin 2020

TOURS ET DÉTOURS DE LA VILAINE FILLE...

TOURS ET DÉTOURS DE LA VILAINE FILLE...
Mario VARGAS LLOSA
(Folio)




Un vrai plaisir de lecture que cet espèce de "mythe de Sisyphe amoureux", étalé sur plus de 40 ans, en passant par Lima, Paris, La Havane, Paris encore, Londres, Tokio, Madrid...

Cette folle histoire d'une passion amoureuse qui ne s'éteindra jamais même dans la mort, c'est celle de Ricardito pour cette insaisissable, incorrigible et énigmatique femme fatale, tour à tour Lily, Arlette, madame Arnoux, Mrs Richardson, Kuriko,... une amante qui le "prend" puis le jette pour mieux le reprendre et le quitter à nouveau, dans un tourbillon sans fin qui nous entraîne aux quatre coins de la terre.

Péruvien comblé par un idéal de vie, celui de vivre à Paris qui semble lui suffire, Ricardito "le bon garçon" polyglotte est traducteur pour l'Unesco. Il est aussi amené à beaucoup voyager professionnellement, de conférence en congrès. Mais il est d'une extrême bonté, d'un naturel tenace et volontaire, et d'un amour absolu et sans limites.

Mario Vargas Llosa tisse la complexe toile de cette histoire sensuelle et charnelle, avec le biais d'une culture encyclopédique et un remarquable style qui lui a valu les honneurs suprêmes de la littérature en 2010. 

Mais il y déroule aussi un demi siècle d'histoire mondiale avec le Paris des années 60, celui des existentialistes, la révolution cubaine et ses ramifications au Pérou, du Sentier Lumineux notamment, l'apparition du Sida, le mouvement hippy , le flower power, et le swinging London, ou encore le Japon, paradis des pratiques sexuelles sulfureuses, et ses yakuzas. 

Et cela s'est révélé un bon miroir pour moi, qui ai vécu toutes ces années avec implication et une certaine délectation : c'est une bonne façon de me remémorer et de mieux resituer mes propres positionnements de l'époque, avec le recul du temps passé.

Ce roman pointe aussi la nostalgie et la solitude de cet exilé volontaire, qui a volontairement perdu son identité de Péruvien sans parvenir à se sentir véritablement réellement français.

J'ai bien aimé ce roman, enlevé, cru et époustouflant d'audace. 
De plus il se déroule dans des lieux de culture et de convivialité et dans un environnement urbain qui m'a par certains côtés bohèmes et convenus rappelé mes belles années de vie étudiante dans le Toulouse des années 70.

A lire passionnément, bien sûr !

dimanche 7 juin 2020

LETTRE À HERMINIA ...

LETTRE À HERMINIA .....

Un siècle : 100 ans d’une vie rude et traversée de tant de drames, de tant de guerres meurtrières et de leurs séquelles économiques et sociales. 
Un siècle marqué par la lutte incessante entre les républiques démocratiques et les dictatures, ce qui reste pourtant toujours, malheureusement, un thème d’actualité. 
Comme l'écrivait Berthod Brecht, dans la Résistible Ascension d'Arturo Ui : "Le ventre est encore fécond d'où est sortie la bête immonde..."

Herminia, aujourd’hui si frêle et si menue, tu as traversé tout cela avec une volonté farouche, une ardeur au travail inépuisable, un fort caractère, bien trempé par les épreuves de la vie, une gentillesse naturelle et un souci permanent des autres et bien sûr de ta famille.

Tu fais partie de ces générations qui se sont sacrifiées pour leurs aînés et leurs enfants, se privant souvent de tout pour espérer assurer leur réussite et leur confort.

 
Bausen, ton village natal

Ces dernières années, ton esprit s’est parfois un peu égaré, mais dans le monde que tu as souhaité te construire et conserver dans ta tête, vivent encore régulièrement ceux qui t’ont été si chers : ta mère Maria, qui vivait avec nous et dont tu t’es occupée jusqu’au bout, ton père Alfonso, trop tôt disparu, à qui tu voues une admiration et une véritable adoration, lui ce madrilène lettré, secrétaire de mairie à Bausen et Canéjan, marié à une jeune paysanne aranaise analphabète, et enfin tes petits enfants, surtout ce petit, dont on ne sait lequel il est, mais qu’on t’ a laissé en garde et qui s’échappe régulièrement, te causant ainsi beaucoup de tracas.


Ici, Herminia aux cymbales et ton frère Alfonso à la mandoline, accompagnés de quatre jeunes compères , vous entourez le facétieux violoniste Alfonso, votre père, qui savait amener la joie de vivre autour de lui...

Ta mémoire ancienne est encore bien vivace et tu racontes souvent ton enfance à Bausen, à San Roch, à Carlac, le chemin jusqu’à Pontaut, où gamine, tu gardais des enfants de carabiniers et remontais au village souvent à la nuit tombée.

  

Carlac et sa forêt magique de hêtres fantastiques qui me fascinent toujours...







Puis avec le décès de ton père et la guerre civile en Espagne, ce fût l’exil familial vers la France et le Luchonnais... Comme foule de réfugiés fuyant le franquisme.

 

Dans ces temps troublés, tes premiers et chers patrons étaient devenus une seconde famille : Georges et Catherine Lebreton, du Bar Georges, dont tu gardais les enfants Simone et Jojo.


Ta rencontre avec Louis, bien sûr, qui est devenu ton mari, avec qui tu as partagé soixante ans de vie commune.


Mobilisé en 1939, il partit sur le front de l'Est et du Nord, puis bloqué dans la poche de Dunkerque, il réussit à être embarqué par la royal Navy, pour regagner l'Angleterre avant d'être démobilisé....


Votre mariage en fin 1940, à Barcugnas, accompagné de vos familiers et amis, les Dusastre, les Espin, les Artigue, les Deu, les "Gaciots", Carmen Cambronero...


Un premier enfant , ma sœur aînée, Jeanine, née en 1943...

La famille s'agrandit : ici les deux mamies Marie et Maria, Hermine , Jeanine mon aînée,  Pierre, le cow boy, moi et ma sœur de cœur et d'enfance, Marie-Pierre, mon inséparable voisine....avec cette "irrésistible" mode des blouses vichy et déjà mon goût précoce pour les bretelles !!!

Et le travail ensuite, une constante préoccupation pour toi....

   

Les collègues du travail ou tes patrons  comme les familles Laffont et Bacqué boulangers et pâtissiers de renom, 
ou Germaine dans l'équipe de l'Hôtel d'Angleterre.


Et encore les ménages des meublés de Mme Loubet, souvent en duo avec Jeannine Dedieu, ton amie.

La famille, bien sûr, a beaucoup compté : ici les deux grands mères Marie et Maria, Manuel un cousin, Alfonso ton frère et son épouse Lili, avec trois de nos cousines Mamie, Josette et Rose-Marie, ma sœur Jeanine et mon frère Pierre....

Car ton frère Alfonso, est toujours resté bien présent dans ton esprit, lui, patron de la boulangerie Valdès et Riegel, sur la place du Marché ; lui qui  faisait les tournées dans les villages des vallées du Larboust et d’Oueil où il était fort apprécié.
Nous nous retrouvions souvent chez eux, avec son épouse Lili, leurs quatre filles, nos cousines, et Paul son beau-père, dans ces temps lointains où l’esprit de famille et la solidarité avait un véritable sens concret.


Une sortie de "Pasquette" en famille à partager l'omelette à Gouardère, une estive familiale..

 

 Tu as été et tu restes une très belle femme,séduisante,
"avec des yeux "revolver", avec un regard d'un bleu qui tue,
et Louis a été touché : c'était foutu..."
Je le comprends parfaitement !

Avec ta volonté farouche d’autodidacte, toi, peu scolarisée, tu as acquis, à force de lectures, un Français parfait et une orthographe tout aussi remarquable.
Je t’ai toujours admirée pour cela et j’ai toujours accordé beaucoup d’importance à l’écriture des textes et à la qualité de leur rédaction, qui pour moi sont des signes de respect pour l'autre, lectrice ou lecteur.
Rien que pour ce détail là, Merci à toi, Herminia.

Et ta vie s’est déroulée ainsi, toi toujours active et attentionnée, jusqu’à ce jour où il te fallut bien quitter ton domicile, la mort dans l’âme. 
Mais nous avons su, je le crois, t'accompagner comme tu l'as mérité amplement.

 

La fête de mères 2018 avec deux de mes petites filles Inès et Julia


Ton 99ème anniversaire en 2019, où tu prouves que tu restes la plus rapide pour dégainer, ta coupe !









 Ce qui te rend très enjouée et malicieuse d'avoir été plus prompte que le photographe. 

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Aujourd’hui, Herminia, tu vis à Era Caso, dans la sécurité, bien entourée et choyée par tout le personnel, et nous te voyons régulièrement même si les restrictions de visite dues au Covid 19 ont lourdement pesé sur vous, nos aînés, générant frustration et incompréhension légitimes.
Fort heureusement, les conditions aujourd’hui s’humanisent un peu plus.



En ton jour anniversaire, un peu spécial pour ces mêmes raisons sanitaires, nous avons tenu à venir te rendre un hommage mérité, en partageant ce moment de convivialité bien venu, et rendu possible grâce à la bonne organisation de toutes les équipes, des services et de la direction de l’EHPAD.
Nous les en remercions très vivement.


Un magnifique gâteau pour tes 100 ans...en compagnie de quelques unes de tes amies d'Era Caso.

Alors, je crois qu’il est temps, après tout ce verbiage, de passer aux choses sérieuses, et de te souhaiter pour conclure enfin, au nom de tous les miens, un très bon et très heureux centième anniversaire, et une bonne fête des mères, Herminia, ma chère mère. 




mercredi 3 juin 2020

MIROIR DE NOS PEINES

MIROIR DE NOS PEINES
Pierre  LEMAÎTRE
Albin Michel.



Je suis devenu un inconditionnel de cet auteur hors pair qui nous entraîne dans des aventures passionnantes, parfois tragi-comiques, et sait nous tenir en haleine tout en nous faisant revisiter des périodes troubles et sombres de notre histoire nationale où de nombreux innocents payèrent fort cher l’inconséquence de dirigeants et de militaires de tout premier plan.
J'ai dévoré ce livre en trois jours.

Une histoire revisité de l’intérieur de la débâcle de 1940 face aux troupes nazies qui en un temps record balayèrent les défenses soi-disant imprenables de nos frontières du Nord et de l’Est. 
Elle fait écho chez moi, aux photos et aux récits de mon père combattant sur ces zones, lui-même bloqué dans la poche de Dunkerque et qui fit partie des quelques milliers de soldats français à pouvoir gagner l’Angleterre grâce à la détermination de la Royal Navy.

J’adore ce petit côté picaresque du récit très enlevé, où les aventures individuelles de chacun des protagonistes nous entraînent dans un fol tourbillon qui nous éclaire sur l’état de la société française, largement manipulée par une propagande d’Etat, mensongère et orientée jusqu’au bout sur le déni de la défaite.

Mais c’est aussi l’histoire d’amours improbables, tragiques ou impossibles et de destins familiaux déchirants, et la rencontre de belles personnes.

Inutile de vous dire que j’ai adoré ce troisième volume de la trilogie, après « Au revoir là-haut », et « Les couleurs de l’incendie », où l’on retrouve avec plaisir certains des protagonistes des aventures précédentes.


Je ne peux que chaudement conseiller la lecture de ce nouvel ouvrage, mais je pense que ce serait dommage de ne pas lire les autres en préambule.

mercredi 6 mai 2020

IL EST DES HOMMES QUI SE PERDRONT TOUJOURS

IL EST DES HOMMES QUI SE PERDRONT TOUJOURS

Rebecca Lighieri
P.O.L





Je ne connaissais pas Emmanuelle Bayamack-Tam, qui écrit ici sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, ce très beau roman, aussi scintillant que sombre à souhait.
Pourquoi ce roman tout à fait contemporain m’a-t-il passionné ? Certainement parce qu’il m’a, à sa façon, replongé dans des réalités souvent méconnues de mes années 80, où jeune futur éducateur spécialisé, j’ai eu à travailler et à connaître des histoires familiales si proches, si comparables, si dramatiques, dans ces cités toulousaines de la relégation sociale, celles où se sédimentent irrémédiablement les destins des hommes et des femmes les plus exclus parmi les exclus, issus de toutes les vagues successives d’immigration que notre pays a reçues, plus qu’il ne les a correctement et fraternellement accueillies.
L’auteur choisit le nom d’Antonin Artaud pour cette cité fictive des quartiers Nord de Marseille, et ce n’est pas tout à fait un hasard mais plutôt un symbole.
Une histoire familiale qui pourrait paraître une fiction hors normes, mais qui malheureusement reste encore trop présente dans certains quartiers dits sensibles, (et pas que d’ailleurs), et que la crise du Covid aura certainement ravivée par les contraintes imposées par le confinement.
C’est Karel, le très beau frère aîné de la superbe Hendricka, qui nous délivre le quotidien toujours plus sombre de sa famille, rythmé par les exactions permanentes d’un père alcoolique, violent, toxicomane, vivotant de trafics minables et qui n’envisage ses deux ainés comme une source éventuelle de revenus, car il les verrait bien prendre la suite artistique de Michael Jackson.
La mère qui subit aussi la violence de son mari puis partage sa toxicomanie n’a d’égards que pour son dernier né, Mohand, lourdement polyhandicapé, qui devient dès sa naissance le principal souffre-douleur du père.
Mais c’est dans la zone entre la cité et la colline, « le passage 50 », lieu ultime de mise à l’écart, celui où vivent des gitans sédentarisés, que les trois enfants vont trouver une forme de planche de salut qui va leur permettre année après année, de résister, de se serrer les coudes, de se construire, chacun à sa façon, et de goûter à une forme de bonheur et d’amour dans ce milieu gipsy, très accueillant mais en pleine mutation de mœurs entre modernité et traditions préservées.
Ce roman est celui du déterminisme familial et de la transmission de la violence, physique et psychique, sur fond de carences parentales, de haine, de handicap, de drogues consommées ou vendues et aussi sur fond de différence et de reconnaissance de l’altérité.
Mais c’est aussi une bouffée d’amours, d’amitiés et de sexualités naissantes et assumées, dont l’auteur possède l’art d’une écriture moderne, simple, directe et sans fard.
Et c’est aussi une démonstration de formes de résiliences, éclatantes parfois, chaotiques souvent.  C'est aussi un flash-back régulier sur la musique et les succès majeurs et populaires de ces années qui ponctuent le récit.
On ressort de cette lecture très remué par des émotions fortes, souvent contradictoires, mais qui nous éclairent bien sur ce que peuvent générer les frustrations inévitables d’enfances aussi lourdes à porter. Et donc un encouragement à avoir de la prudence à observer avant de porter des jugements parfois hâtifs sur autrui.

Mais pour revenir dans le lumineux, je pense acheter très vite « Arcadie », roman avec lequel l’auteure a été distinguée par le prix du livre Inter et qui est annoncé comme un peu plus solaire.