IL EST DES HOMMES QUI SE PERDRONT TOUJOURS

IL EST DES HOMMES QUI SE PERDRONT TOUJOURS

Rebecca Lighieri
P.O.L





Je ne connaissais pas Emmanuelle Bayamack-Tam, qui écrit ici sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, ce très beau roman, aussi scintillant que sombre à souhait.
Pourquoi ce roman tout à fait contemporain m’a-t-il passionné ? Certainement parce qu’il m’a, à sa façon, replongé dans des réalités souvent méconnues de mes années 80, où jeune futur éducateur spécialisé, j’ai eu à travailler et à connaître des histoires familiales si proches, si comparables, si dramatiques, dans ces cités toulousaines de la relégation sociale, celles où se sédimentent irrémédiablement les destins des hommes et des femmes les plus exclus parmi les exclus, issus de toutes les vagues successives d’immigration que notre pays a reçues, plus qu’il ne les a correctement et fraternellement accueillies.
L’auteur choisit le nom d’Antonin Artaud pour cette cité fictive des quartiers Nord de Marseille, et ce n’est pas tout à fait un hasard mais plutôt un symbole.
Une histoire familiale qui pourrait paraître une fiction hors normes, mais qui malheureusement reste encore trop présente dans certains quartiers dits sensibles, (et pas que d’ailleurs), et que la crise du Covid aura certainement ravivée par les contraintes imposées par le confinement.
C’est Karel, le très beau frère aîné de la superbe Hendricka, qui nous délivre le quotidien toujours plus sombre de sa famille, rythmé par les exactions permanentes d’un père alcoolique, violent, toxicomane, vivotant de trafics minables et qui n’envisage ses deux ainés comme une source éventuelle de revenus, car il les verrait bien prendre la suite artistique de Michael Jackson.
La mère qui subit aussi la violence de son mari puis partage sa toxicomanie n’a d’égards que pour son dernier né, Mohand, lourdement polyhandicapé, qui devient dès sa naissance le principal souffre-douleur du père.
Mais c’est dans la zone entre la cité et la colline, « le passage 50 », lieu ultime de mise à l’écart, celui où vivent des gitans sédentarisés, que les trois enfants vont trouver une forme de planche de salut qui va leur permettre année après année, de résister, de se serrer les coudes, de se construire, chacun à sa façon, et de goûter à une forme de bonheur et d’amour dans ce milieu gipsy, très accueillant mais en pleine mutation de mœurs entre modernité et traditions préservées.
Ce roman est celui du déterminisme familial et de la transmission de la violence, physique et psychique, sur fond de carences parentales, de haine, de handicap, de drogues consommées ou vendues et aussi sur fond de différence et de reconnaissance de l’altérité.
Mais c’est aussi une bouffée d’amours, d’amitiés et de sexualités naissantes et assumées, dont l’auteur possède l’art d’une écriture moderne, simple, directe et sans fard.
Et c’est aussi une démonstration de formes de résiliences, éclatantes parfois, chaotiques souvent.  C'est aussi un flash-back régulier sur la musique et les succès majeurs et populaires de ces années qui ponctuent le récit.
On ressort de cette lecture très remué par des émotions fortes, souvent contradictoires, mais qui nous éclairent bien sur ce que peuvent générer les frustrations inévitables d’enfances aussi lourdes à porter. Et donc un encouragement à avoir de la prudence à observer avant de porter des jugements parfois hâtifs sur autrui.

Mais pour revenir dans le lumineux, je pense acheter très vite « Arcadie », roman avec lequel l’auteure a été distinguée par le prix du livre Inter et qui est annoncé comme un peu plus solaire.



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