SI FIER D'ÊTRE…
Si fier
d’être…
Une
foule de plusieurs centaines de personnes commence lentement à se rassembler
par petits groupes discrets et remplis de gravité. Des saluts, des poignées de
main et quelques embrassades furtives s’échangent, dans un quasi silence,
empreint de respect et de tristesse.
C’est la réponse rapide et assumée du Luchon que nous aimons, qui se dessine en riposte à ce que nous venons de subir, nous peuple de France, la veille, en plein Paris populaire et festif, avec la répétition d’exactions d’une extrême sauvagerie et de véritables exécutions sommaires.
C’est la réponse rapide et assumée du Luchon que nous aimons, qui se dessine en riposte à ce que nous venons de subir, nous peuple de France, la veille, en plein Paris populaire et festif, avec la répétition d’exactions d’une extrême sauvagerie et de véritables exécutions sommaires.
Un
épouvantable carnage, résultat d’un mitraillage purement aléatoire de la part
de barbares illuminés et téléguidés en plein cœur de notre pays et à l’assaut
de nos valeurs fondamentales, forgées tout au long des siècles; face à cette ignominie,
l’hébétude et l’incompréhension le
disputent d’abord à la révolte, à l’écœurement et la nausée.
Les
yeux se remplissent de larmes et les gorges se serrent, à l’image de ceux de
Louis Ferré, notre maire, qui délivre avec beaucoup d’émotion un discours
d’hommage aux blessés, aux victimes innocentes et à leurs familles. Il en
appelle aussi à la résistance et au rassemblement sur nos valeurs partagées et sur
notre démocratie, face à la menace terroriste, nihiliste et fondamentaliste.
Moi,
le fils d’Herminia, immigrée espagnole, l’époux d’une native de Castilla-La
Mancha moi qui scrute à chaque occasion mon nom, inscrit dans le marbre de ce
monument, et que je porte fièrement parce que mon grand-père a péri dans les
premières heures de la Grande-Guerre, à Heippes, près de Verdun, laissant un
orphelin de deux mois, Louis, celui qui allait devenir mon père, je mesure en
ces circonstances le véritable ferment, l’essentiel de notre pays, la France :
ce qui nous unit et nous rassemble dans le respect et l’acceptation de nos
diversités et non ce qui peut nous diviser, nous entraîner dans la stigmatisation
et nous opposer.
Alors,
ce soir plus qu’à tout autre moment, quand je parcours cette liste d’hommes qui
ont donné leur vie pour que notre pays, la France, vive libre, égalitaire, fraternelle
et laïque, je puise dans leur souvenir toujours vivace la force de ne pas
reculer et de ne pas capituler devant l’étalage de la barbarie la plus abjecte,
celle qui ne nous fera jamais renoncer à la défense résolue de nos valeurs
authentiques.
Une
Marseillaise vibrante s’est alors élevée, reprise par tous et à l’unisson, et
j’en ai, pour la première fois peut-être, alors pleinement mesuré la charge
unificatrice, loin de tout accent nationaliste et partisan, la force
mobilisatrice, parce que c’est notre chant, notre symbole, et qu’elle nous
appartient à nous tous, Français ; mais aussi au-delà, parce qu’elle représente
dans toutes les contrées du monde le pays des droits de l’homme et du citoyen
et qu’elle est porteuse de l’étendard de cet universalisme que nous érigeons
comme un principe fondateur et fondamental de notre démocratie.
Benjamin
Franklin ne disait-il pas que : « Chaque homme a deux patries :
la sienne et puis la France ».
Oui,
nous devons avec fierté assumer cette responsabilité universaliste devant le
monde et tous les citoyens du monde, malgré les difficultés et les menaces qui
se présentent à nous maintenant, sans baisser la garde, ni reculer devant le
danger, l’intimidation ou la violence. Nous le savons aujourd’hui, le combat
engagé sera certainement long et il fera encore d’innocentes victimes, mais
nous vaincrons, comme nous avons su le faire par le passé devant des
totalitarismes tout aussi répugnants et organisés.
Nous
avons ensuite, avec beaucoup d’amis, retrouvé au Pavillon Normand tous ceux qui
ont répondu positivement au message de solidarité et d’accueil de ces hommes et
de cette famille jetés sur le chemin de l’exil par la même menace
terroriste : ils ont souvent vécu dans leur chair ou celle de leurs proches
les mêmes atrocités que celles que nous subissons, dans leur pays d’origine
qu’ils ont souvent dû quitter pour sauver leur vie ou pour s’assurer un avenir
meilleur devant la famine ou la mort.
Cette
soirée fût un formidable témoignage de fraternité et de convivialité, dans une
parfaite envie de partage et de compréhension de ces déchirures humaines qui
ont conduit des Soudanais, des Irakiens, des Iraniens, des Erythréens, des
Syriens, des Kurdes…si loin de leur sol et de leurs racines, sur la route de
l’exode, en proie à de sordides passeurs, exposés à tous les dangers, à tous
les rackets et à la mort dans la traversée de la Méditerranée.
Comme
nous et toute notre communauté nationale, ils sont les victimes des mêmes tenants
de la dictature, de l’obscurantisme, des inégalités culturelles, sociales et
sexuées, du fanatisme et des guerres de religions d’un autre temps qu’on
voudrait réanimer, qui ne maintiennent leur pouvoir que par les trafics massifs
et la terreur armée.
Et
pendant cette soirée, rythmée par le mélange d’improvisations, de percussions
et de nos chants pyrénéens, je me suis aussi souvenu de quelques chansons de
certains des meilleurs de nos chanteurs qui retrouvent une actualité brûlante
et que j’ai pris plaisir à réentendre de retour chez moi : Alain Souchon
chantant « C’est déjà ça », et Francis Cabrel avec « Saïd et
Mohamed » et « Des hommes pareils » ou « Lily »
de Pierre Perret ; des textes d’une force et d’une humanité pénétrante, passés
un peu inaperçus en leur temps.
Hier
matin, je suis parti en montagne, profiter du soleil éclatant des estives d’Artigue,
avec ma petite famille qui avait partagé la soirée de la veille avec ces
« migrants » et j’ai mesuré alors, tout le bonheur si simple et si complet
dont nous jouissons ici, nous, libres et insouciants.
Ces
hommes et ces femmes souvent espèrent aussi retrouver les leurs, leurs racines et
leur terre et les quelques menus plaisirs basiques auxquels nous aspirons tous.
Essayons
de répondre à ces vœux de toutes nos forces et de celles de tous nos pays
libres qui portent la responsabilité de cela devant le monde entier : « vivre,
(libres et heureux), entre leurs parents le reste de leur âge », tel
Ulysse, chanté dans le poème de Joachim Du Bellay.
Ce
matin, j’ai pris connaissance de plusieurs textes ou tribunes libres que j’ai
trouvées particulièrement inspirées et que je vous engage à parcourir :
celle de Lassana Diarra, footballeur international français qui a perdu sa
cousine dans la tuerie, celle d’Edwy Plenel dans Médiapart et enfin, celle que
j’affectionne particulièrement, dont je partage le sens, l’esprit et le cœur (et
que j’aurais bien voulu écrire), celle de Magyd Cherfi, du groupe Toulousain
Zebda, (que j’ai bien connu lors de mes années passées à Pechbonnieu), parue
dans « Libération » de dimanche.
Pour
conclure mon propos, je citerai Averroès, théologien et philosophe
musulman du XIIème siècle : « L’ignorance conduit à la peur, la peur
conduit à la haine, la haine à la violence : voilà l’équation. »
C’est
assurément, celle que nous devons résoudre, au cœur même de notre propre misère
sociale et culturelle, celle que nous devons résoudre au cœur de nos écoles, de
nos banlieues, où l’instrumentalisation de cette ignorance conduit au pire et à
la négation de nos valeurs démocratiques et humanistes, celles-là mêmes qui
m’ont amené à écrire ce texte que je donne en partage.
Jean-Louis REDONNET
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