SI FIER D'ÊTRE…

Si fier d’être…

Luchon, 14 Novembre 2015, 18h,
Monument aux morts, place Joffre.


Une foule de plusieurs centaines de personnes commence lentement à se rassembler par petits groupes discrets et remplis de gravité. Des saluts, des poignées de main et quelques embrassades furtives s’échangent, dans un quasi silence, empreint de respect et de tristesse.
C’est la réponse rapide et assumée du Luchon que nous aimons, qui se dessine en riposte à ce que nous venons de subir, nous peuple de France, la veille, en plein Paris populaire et festif, avec la répétition d’exactions d’une extrême sauvagerie et de véritables exécutions sommaires.
Un épouvantable carnage, résultat d’un mitraillage purement aléatoire de la part de barbares illuminés et téléguidés en plein cœur de notre pays et à l’assaut de nos valeurs fondamentales, forgées tout au long des siècles; face à cette ignominie, l’hébétude et l’incompréhension  le disputent d’abord à la révolte, à l’écœurement et la nausée.
Les yeux se remplissent de larmes et les gorges se serrent, à l’image de ceux de Louis Ferré, notre maire, qui délivre avec beaucoup d’émotion un discours d’hommage aux blessés, aux victimes innocentes et à leurs familles. Il en appelle aussi à la résistance et au rassemblement sur nos valeurs partagées et sur notre démocratie, face à la menace terroriste, nihiliste et fondamentaliste.
Moi, le fils d’Herminia, immigrée espagnole, l’époux d’une native de Castilla-La Mancha moi qui scrute à chaque occasion mon nom, inscrit dans le marbre de ce monument, et que je porte fièrement parce que mon grand-père a péri dans les premières heures de la Grande-Guerre, à Heippes, près de Verdun, laissant un orphelin de deux mois, Louis, celui qui allait devenir mon père, je mesure en ces circonstances le véritable ferment, l’essentiel de notre pays, la France : ce qui nous unit et nous rassemble dans le respect et l’acceptation de nos diversités et non ce qui peut nous diviser, nous entraîner dans la stigmatisation et nous opposer.
Alors, ce soir plus qu’à tout autre moment, quand je parcours cette liste d’hommes qui ont donné leur vie pour que notre pays, la France, vive libre, égalitaire, fraternelle et laïque, je puise dans leur souvenir toujours vivace la force de ne pas reculer et de ne pas capituler devant l’étalage de la barbarie la plus abjecte, celle qui ne nous fera jamais renoncer à la défense résolue de nos valeurs authentiques.
Une Marseillaise vibrante s’est alors élevée, reprise par tous et à l’unisson, et j’en ai, pour la première fois peut-être, alors pleinement mesuré la charge unificatrice, loin de tout accent nationaliste et partisan, la force mobilisatrice, parce que c’est notre chant, notre symbole, et qu’elle nous appartient à nous tous, Français ; mais aussi au-delà, parce qu’elle représente dans toutes les contrées du monde le pays des droits de l’homme et du citoyen et qu’elle est porteuse de l’étendard de cet universalisme que nous érigeons comme un principe fondateur et fondamental de notre démocratie.
Benjamin Franklin ne disait-il pas que : « Chaque homme a deux patries : la sienne et puis la France ».
Oui, nous devons avec fierté assumer cette responsabilité universaliste devant le monde et tous les citoyens du monde, malgré les difficultés et les menaces qui se présentent à nous maintenant, sans baisser la garde, ni reculer devant le danger, l’intimidation ou la violence. Nous le savons aujourd’hui, le combat engagé sera certainement long et il fera encore d’innocentes victimes, mais nous vaincrons, comme nous avons su le faire par le passé devant des totalitarismes tout aussi répugnants et organisés.

Nous avons ensuite, avec beaucoup d’amis, retrouvé au Pavillon Normand tous ceux qui ont répondu positivement au message de solidarité et d’accueil de ces hommes et de cette famille jetés sur le chemin de l’exil par la même menace terroriste : ils ont souvent vécu dans leur chair ou celle de leurs proches les mêmes atrocités que celles que nous subissons, dans leur pays d’origine qu’ils ont souvent dû quitter pour sauver leur vie ou pour s’assurer un avenir meilleur devant la famine ou la mort.
Cette soirée fût un formidable témoignage de fraternité et de convivialité, dans une parfaite envie de partage et de compréhension de ces déchirures humaines qui ont conduit des Soudanais, des Irakiens, des Iraniens, des Erythréens, des Syriens, des Kurdes…si loin de leur sol et de leurs racines, sur la route de l’exode, en proie à de sordides passeurs, exposés à tous les dangers, à tous les rackets et à la mort dans la traversée de la Méditerranée.
Comme nous et toute notre communauté nationale, ils sont les victimes des mêmes tenants de la dictature, de l’obscurantisme, des inégalités culturelles, sociales et sexuées, du fanatisme et des guerres de religions d’un autre temps qu’on voudrait réanimer, qui ne maintiennent leur pouvoir que par les trafics massifs et la terreur armée.
Et pendant cette soirée, rythmée par le mélange d’improvisations, de percussions et de nos chants pyrénéens, je me suis aussi souvenu de quelques chansons de certains des meilleurs de nos chanteurs qui retrouvent une actualité brûlante et que j’ai pris plaisir à réentendre de retour chez moi : Alain Souchon chantant « C’est déjà ça », et Francis Cabrel avec « Saïd et Mohamed » et « Des hommes pareils » ou « Lily » de Pierre Perret ; des textes d’une force et d’une humanité pénétrante, passés un peu inaperçus en leur temps.

Hier matin, je suis parti en montagne, profiter du soleil éclatant des estives d’Artigue, avec ma petite famille qui avait partagé la soirée de la veille avec ces « migrants » et j’ai mesuré alors, tout le bonheur si simple et si complet dont nous jouissons ici, nous, libres et insouciants.
Ces hommes et ces femmes souvent espèrent aussi retrouver les leurs, leurs racines et leur terre et les quelques menus plaisirs basiques auxquels nous aspirons tous.
Essayons de répondre à ces vœux de toutes nos forces et de celles de tous nos pays libres qui portent la responsabilité de cela devant le monde entier : « vivre, (libres et heureux), entre leurs parents le reste de leur âge », tel Ulysse, chanté dans le poème de Joachim Du Bellay.

Ce matin, j’ai pris connaissance de plusieurs textes ou tribunes libres que j’ai trouvées particulièrement inspirées et que je vous engage à parcourir : celle de Lassana Diarra, footballeur international français qui a perdu sa cousine dans la tuerie, celle d’Edwy Plenel dans Médiapart et enfin, celle que j’affectionne particulièrement, dont je partage le sens, l’esprit et le cœur (et que j’aurais bien voulu écrire), celle de Magyd Cherfi, du groupe Toulousain Zebda, (que j’ai bien connu lors de mes années passées à Pechbonnieu), parue dans « Libération » de dimanche.

Pour conclure mon propos, je citerai Averroès, théologien et philosophe musulman du XIIème siècle : « L’ignorance conduit à la peur, la peur conduit à la haine, la haine à la violence : voilà l’équation. »
C’est assurément, celle que nous devons résoudre, au cœur même de notre propre misère sociale et culturelle, celle que nous devons résoudre au cœur de nos écoles, de nos banlieues, où l’instrumentalisation de cette ignorance conduit au pire et à la négation de nos valeurs démocratiques et humanistes, celles-là mêmes qui m’ont amené à écrire ce texte que je donne en partage.
Jean-Louis REDONNET
 Si fier d’être :  
Luchonnais, Français, et Citoyen du monde. 


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