lundi 13 juillet 2020

ET TOUJOURS DES FORÊTS

ET TOUJOURS DES FORÊTS
Sandrine COLLETTE
JC-LATTÈS




Dans ma frénésie de lectures adolescentes, j'avais beaucoup été marqué par Ravage, le roman post apocalyptique que René Barjavel avait écrit en 1943.
Mais depuis lors, l'homme moderne a persisté et multiplié les atteintes mortelles à la nature et à l'environnement par l'usage de l'énergie atomique à Hiroshima et Nagasaki, à Mururoa et sur tous les sites où s'effectuent encore des "essais", par les "accidents" nucléaires deTchernobyl, ou de Fukushima, les accidents chimiques de Bhopal, de Seveso, les immenses incendies en Australie, en Amazonie, en Californie, les extraordinaires sécheresses en Afrique, les déforestations massives au Brésil, en Indonésie ou à Bornéo et j'en passe...
La réalité dépasse déjà la fiction !
Un changement climatique évident, avec un réchauffement constant et très alarmant de la planète, des cataclysmes naturels de plus en plus fréquents : tsunamis, glissements de terrains, inondations torrentielles...
Mais où va notre planète et où allons nous la mener ?

Sandrine Collette nous propose une projection dans un nouveau monde, post catastrophe planétaire, avec Corentin son héros, le fils non désiré et quasi abandonné par sa mère, qui au cours de ses études vit des aventures dans les catacombes parisiennes qui le sauveront paradoxalement des conséquences immédiates de cet événement dont on ne connait ni les causes ni les véritables formes mais qui de son souffle brûlant laisse une terre complètement ravagée et calcinée, peut être radioactive, et des millions de morts, humains ou animaux.
Une seule idée en sa tête traumatisée : retrouver Augustine, sa grand mère, en faisant la route vers les Forêts de son enfance, où il pense la retrouver. Mais c'est un périple extrêmement épuisant tant physiquement que moralement...

Il faut lire ce livre poignant, dur, dont l'écriture particulière, courte et syncopée parfois, colle intimement avec ce qu'elle veut délivrer comme message ou comme sentiment, alliant délires traumatiques, angoisses et prévalence de l'élan vital et du désir inconscient de conservation de l'espèce, puis progressivement de redécouverte d'une forme d'instinct grégaire.
Comment retrouver les siens, comment les faire vivre ou subsister dans cet univers sans saisons et sans soleil, dans une grisaille perpétuelle et des décors carbonisés et ouverts aux pluies acides, au froid et à la neige, comment engager une résilience complexe et contradictoire, comment assurer sa descendance, en un mot comment survivre quotidiennement et perpétuer une espèce de race humaine, dont certains survivants ne sont pas foncièrement bienveillants et surtout dans ces périodes de détresse profonde...

Autant de questions auxquelles nous confronte crûment Sandrine COLLETTE qui signe là un beau roman qui nous interpelle en filigrane sur nos responsabilités en matière environnementale et nous appelle à un sursaut d'humanité, tant qu'il est encore temps, pour éviter à nos enfants de retourner (au mieux) à la Guerre du feu...

mardi 7 juillet 2020

LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES

LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES
Delia Owens
Seuil.




La littérature américaine est riche de ces récits où des enfants développent un lien profond avec la nature au point d'y reprendre une place en totale communion avec elle et tous les animaux, les végétaux qui la peuplent, les conditions atmosphériques qui en scandent et rythment sa vie.
Huckleberry Finn, après Tom Sawyer de Mark Twain, et plus récemment Turtle Alveston, l'héroïne de My absolute Darling de Gabriel Tallent, marquent de leur empreinte leur lien indestructible avec  la mère nature et nourricière.
Ici, Kya, la Fille des marais, nous entraîne dans une splendide aventure où les abandons successifs de sa mère puis de tous les siens lui impose le "choix " de survivre seule au milieu de marais hostiles de Caroline du Nord, où se côtoient nombre de déshérités ou d'exclus.
Des rencontres positives lui permettent de survivre d'abord, celles de Mabel et Jumping, puis, après son refus d'intégrer l'école, d'apprendre à lire grâce à son ami Tate, un autre amoureux des marais et bientôt son amoureux tout court, mais qui va la quitter pour poursuivre ses études.
La rencontre enfin avec Chase Andrew qui va la séduire, et la tromper.
Mais l'assassinat de celui ci dans les marais va déclencher une enquête qui débouchera sur l'inculpation de Kya et son procès.
Je n'irai pas plus loin pour ne pas déflorer complètement l'intrigue d'un livre qui mérite largement d'être lu, surtout dans la période actuelle où les valeurs de respect de la nature et de sa connaissance retrouvent un sens plus concret et plus profond.
Très bon premier roman de Délia Owens qui a rencontré un succès d'estime déjà considérable!

TOUTES BLESSENT, LA DERNIÈRE TUE

TOUTES BLESSENT, 
LA DERNIÈRE TUE

Karine GIEBEL
Roman Poche

Un pavé de près de 800 pages, mais quel pavé !
De ceux qui vous percutent si violemment qu'ils vous laissent page après page des traces indélébiles,  au point de vous en imposer une lecture la plus intense et suivie possible, jusqu'au final, malgré le dégoût profond et l'incrédulité pour les degrés franchis dans le registre de l'horreur qu'il suscite.
C'est la saga d'une esclave des temps modernes, comme il en existe encore tant dans nos sociétés dites évoluées, une enfant marocaine de 8 ans, "achetée" à son père qui croit faire son bonheur l'envoyant en France, mais qui va devenir l'esclave clandestine de sa bourrelle et de tous ceux chez qui elle est envoyée travailler dans les pires conditions : Tama va subir une interminable descente aux enfers dans la violence, la torture, les mauvais traitements, la famine, le manque de sommeil.
Effroyable récit qui va s'illuminer toutefois des éclairs de l'amour passion absolu et de rencontres qui lui permettront de surnager, dans cet océan glacial et mouvementé de turpitudes et de barbarie.
Marguerite, Izri bien sûr, Wassila, Tayri, et l'énigmatique Gabriel restent les phares qui guideront sa traversée vers le bonheur inaccessible.
Mais nous rencontrons aussi des personnages parfaitement campés dans les milieux de la délinquance et l'auteure nous livre  un épilogue flamboyant et illuminé d'un amour fou et rédempteur.

J'ai dévoré ce livre, cette quête éperdue du bonheur et d'une forme de justice, que l'écriture admirable de Karine Giebel rend possible, même dans les moments les plus insoutenables et les plus inimaginables.
Une réussite littéraire sur un thème particulièrement dérangeant et souvent parfaitement criminel.