vendredi 1 décembre 2017

PARLER DE SES PEINES, C'EST DÉJÀ SE CONSOLER


PARLER DE SES PEINES, C'EST DÉJÀ SE CONSOLER (Albert CAMUS)


Consolación….
Ce prénom à lui-seul nous dit presque tout de ta vie…

Consolación…
Parce qu’il porte en lui à la fois ce qui en est la cause, le besoin, mais aussi ce qui en résulte, l’apaisement, la résilience…

La cause, ce sont les peines, les blessures et les déchirures, celles qui ont jalonné ta vie…

Ta vie de jeune ouvrière d’usine, d’une mégisserie dans le village de ton cœur, Molina de Aragon, blotti au cœur des hauts plateaux de Castilla la Mancha, aux confins de l’Aragon.

Puis d’artisane boulangère, après avoir épousé ton cher Eduardo.


Cette terre que tu as dû quitter à regret pour rejoindre, avec vos enfants, ton époux qui était venu en France pour trouver meilleure fortune que dans ces terres meurtries de l’Espagne d’alors, dans ces temps si difficiles des années 60, où immigrés d’Algérie et harkis venaient eux aussi trouver refuge en France, et particulièrement dans notre Pays de Luchon.
Sans maîtrise de la langue, tu as su faire front courageusement avec l’aide de quelques personnes de ton voisinage très bienveillantes, comme Suzanne, ou Lili et d’autres qui t’aidèrent à t’intégrer et à surmonter parfois des manifestations de rejet, ces insultes proférées par des imbéciles dont l’espèce n’est malheureusement pas encore éteinte.

La blessure cuisante, c’était de quitter Juliana, ta mère chérie, restée au Pays et qui devait décéder loin de toi.

Ce fût ensuite la perte de ton époux et de tes deux frères Paco et Enrique, auxquels tu étais très attachée, qui disparurent te laissant dans la peine et le chagrin. Tout comme tes amies de toujours, restées au pays, mais qui quittèrent funestement une à une votre quartier typique de la calle Larga.

Ce furent aussi ces années de labeur intense et éprouvant dans l’hôtellerie, où tu jetas toutes tes forces pour servir et coordonner les services, en bref en être la femme de confiance de l’hôtel Panoramic.

Mais tout cela pour élever ta famille, tes cinq enfants, dans le culte du travail, acharné et bien fait, de la solidarité familiale que tu savais entretenir mieux que quiconque, en rassemblant autour de toi, sous ton aile, et jusqu’au bout, de grandes tablées conviviales et régulières, comme si elles étaient ton moteur, ta raison de vivre.


Enfin vint cette interminable période où ta maladie et ses séquelles t’entraînèrent dans une grande dépendance, où tu continuas, malgré tout et avec fierté, à manifester ton sens de l’hospitalité, de l’accueil et de la gentillesse auprès de tous ceux et toutes celles qui venaient quotidiennement t’assister pour traverser ton propre chemin de croix.

Ton départ ce week-end va laisser un très grand vide…

Mais Consolación,
c’est aussi le bonheur ou l’apaisement retrouvé.

Celui de la famille et des amis, nombreux, rassemblés autour de toi.

Celui de la réussite de tes enfants, eux aussi déracinés très jeunes, mais qui au prix de beaucoup de travail, d’un esprit d’entreprise ambitieux et d’une grande solidarité ont fait ta fierté et apaisé largement ton exil.

Celui de ton quartier de la Soledad à Molina, où la vie sociale reprenait comme par enchantement,  lorsque tu venais y passer quelques mois, organisant dans la rue et sur la placette, des parties de cartes très animées qui faisaient sortir enfants, jeunes et moins jeunes de leurs logis.

Celui de ta foi profonde, particulièrement pour la Vierge Marie et surtout Saint Antoine de Padoue, dont tu tenais précieusement une petite relique dans tes mains, chaque soir avant de t’endormir. 
Ce « Saint des pauvres » disais- tu…
Croyante, car tu ne manquais jamais, lors de tes séjours en Espagne, d’aller honorer de tes cierges, la Virgen de la Hoz, dans son monastère au milieu des gorges du défilé du rio Gallo.



Celui de tes plats de paëlla, de cocido madrileño ou de soupe de poisson, que tu cuisinais de main de maître pour le plus grand plaisir de tous.

Celui d’un amour incommensurable pour les tiens, châtiant bien mais pardonnant tout, les fautes, les erreurs comme les errances.

Celui de ta générosité et de ton aide spontanée pour tous les nécessiteux et particulièrement pour ceux qui avaient dû se résoudre eux aussi à l’exil et à l’émigration.

Voilà brossé ce que tu as été pour nous et pour tes amis, mais aussi pour tous ceux qui t’ont connue, et on pourrait longtemps décliner tous ces souvenirs heureux que tu nous laisses, nous qui restons ici, en cet instant,  inconsolables….

Nous, qui, bien entendu, avons encore tant besoin de…
Consolación.




"Au nom de tous les tiens "
JL R

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Mamie,


Depuis Samedi, j'éprouve un immense chagrin ; les souvenirs s’entremêlent et les émotions m’envahissent.
Difficile de t’exprimer tout ce que je ressens, mais je crois que je te dois bien un dernier hommage.
Alors voilà : si je devais te résumer en une phrase, je dirais que tu aimais incroyablement la vie, les autres…tous les autres.
Car oui, c’est bien toi qui animait ton quartier de la Soledad, à Molina de Aragon, ton village natal.
Dès que tu paraissais avec ta table de jeu sous le bras, c’était le signal et tout le monde accourait vers notre petite place et le  quartier prenait vie : les conversations sur le pas de la porte, les fous-rires, les parties de carte et parfois même les disputes  avec les partenaires, pour une mauvaise stratégie, car tu avais un tempérament fougueux et nous avions souvent droit à de grands coups de poing sur la table lors des réunions de famille, quand tu voulais marquer ainsi que tu n’étais pas d’accord. 
Tous s’en souviennent.
Vraiment, tu étais un sacré personnage !
D’ailleurs je pense que c’est en partie grâce à toi que j’ai ce sens de la fête et cet amour charnel pour l’Espagne.
Souviens-toi, l’été de mes  14 ans, pendant les fêtes de Molina : tu m’avais réveillée à 4h du matin pour que nous allions voir les lâchers de taureaux dans l’enceinte du cœur de village, après le bal. 
Ce jour-là, après avoir dégusté le fameux « chocolate con churros », nous étions rentrées, au petit matin, en dansant, bras dessus-bras dessous, derrière les bandas et surtout la banda de música de Cuartell.
Ce fût l’un de mes meilleurs souvenirs d’enfance !

Tu adorais ta famille  et tu te démenais toujours pour que nous soyons heureux et que nous ne manquions de rien. 
Je crois d’ailleurs que c’est pour cette raison que, lorsque tu es tombée malade, tes enfants se sont serré les coudes et ont fait de leur mieux pour que tu puisses, malgré tout, rester chez toi.
Je suis sûre qu’aujourd’hui, tu es très fière du soutien sans faille de ta famille.
Désormais, nous allons continuer le chemin, celui que tu nous as indiqué et nous nous efforcerons d’en transmettre le sens à nos propres enfants : celui de ce précieux témoin que tu as porté pour nous et que tu nous as confié.

Merci, Mamie, pour cette authentique leçon de vie.

Coralie REDONNET


dimanche 12 novembre 2017

IL EST DES RENCONTRES FERTILES QUI VALENT BIEN DES AURORES




Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores
(René Char)



Des roses, quelques larmes de rosée, et le port de Vénasque...

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En paix.
Le visage calme, serein et détendu.
C’est ainsi qu’est parti Jeannot Peyrafitte ; c’est ainsi qu’il a fermé sa dernière porte sur la vie.

C’est du moins le souvenir que je vais garder de ma dernière visite, celle de ce matin du 11 Novembre, à Era Caso, où il avait choisi de finir ses jours en compagnie de son épouse et entouré de l’affection de ses enfants et de nombre de ses vrais amis.
Lui, toujours impeccable, soigneusement vêtu et coiffé, attentif et exigeant à cette marque de politesse et de respect pour les autres, ceux que sa longue carrière d’homme public l’a amené à côtoyer, à fréquenter, à accompagner, et parfois à supporter, sur la route de la vie et de ses combats.
Car Jean Peyrafitte a toujours été un lutteur, un combattant loyal, des terrains de football, à ceux de l’entreprise, puis de la vie publique et de la politique, avec un attachement indéfectible à ses racines, à sa terre, à son territoire.
Des ors des palais de la République aux stalles des étables Larboustoises, il n’a jamais reculé devant l’engagement pour les causes qu’il croyait justes, légitimes, positives et bénéfiques au plus grand nombre.
Toujours à l’écoute des autres, direct et très accessible, son action a fait que nombre de gens et de familles lui doivent une aide momentanée ou durable, une situation professionnelle ou personnelle établie ou rétablie, des contacts favorisés ou des opportunités offertes, de solides appuis ou des recommandations.
Beaucoup s’en souviennent, avec gratitude,  mais malheureusement aussi,  beaucoup l’ont rapidement oublié ou même effacé de leur mémoire, en le combattant bassement, en le salissant ou en le trahissant sans vergogne. Mais la vie publique et la politique sont ainsi faites : « Vae victis » disait-on déjà dans la Rome antique. J’en connais moi aussi le prix.
Nombre de ces crocodiles viendront à coup sûr verser ostensiblement leurs larmes du même nom, à ses obsèques, uniquement pour qu’on y remarque leur présence pourtant si vide de sens et de sentiments, et si hypocrite.

Jeannot Peyrafitte, fait partie de mon environnement familier de vie : très jeune, que ce soit sur les terrains de foot avec ses fils Pierre et Jean-Louis, sous les couleurs du BLS, dont il fut un dirigeant très impliqué, un journaliste sportif assidu et avisé, puis en politique, où mon engagement précoce m’a conduit très tôt à être un de ses compagnons de route pour réaliser l’accession d’une alliance de gauche à la mairie de Luchon, avec l’appui d’Henri Denard et de nombre de leurs camarades et des nôtres.
Puis, ma vie personnelle m’a conduit « loin » de Luchon, mais sans que j’en sois totalement coupé, et les hasards de l’existence, des sentiments et des alliances ont rapproché concrètement nos familles respectives.
Mon retour à Luchon, après notre succès politique de 2008, avec Louis Ferré et nos amis, qui a permis à la mairie de retrouver nos couleurs et nos valeurs, m’a amené à le côtoyer beaucoup plus souvent et à constater, malgré l’avancée en âge, que l’attrait restait intact et l’attention avisée pour la chose publique locale, régionale, comme nationale.


Jeannot était un homme de proximité, avec ses défauts et ses qualités, toujours franc et parfois emporté, voire colérique dans ses rapports avec les autres, un peu despotique, comme nombre de leaders de sa génération, d’un paternalisme bienveillant,  mais toujours droit et loyal en amitié et en parole donnée.
Le décès récent de Pierre son fils l’avait beaucoup affecté, tout comme celui de Henri Denard, qui avait pendant de longues années été son adjoint et souvent son successeur dans les mandats électifs départementaux ou régionaux.
Je ne ferai pas l’exégèse de son action personnelle et publique, ce serait trop long et d’autres sauront le faire mieux que moi ; mais je prends conscience que pour parler de Jean, j’ai beaucoup parlé de moi et de mes tranches de vie ; alors c’est bien pour synthétiser mon point de vue, que je paraphraserai Michel Berger, pour affirmer que pour les hommes et les femmes de ma génération et de la précédente, « On a tous quelque chose en nous de… Jean Peyrafitte ». (et c’est le plus marquant aujourd'hui, car peu de personnes peuvent y prétendre légitimement comme lui).

Il reste en effet gravé à jamais dans notre cœur comme un soutien, un recours, un ami ou même comme un  membre de notre famille, d’esprit si ce n’est de sang.

Mes pensées vont bien sûr à toute sa famille, son épouse Renée, sa fille Nicole, son fils Jean-Louis, très présent quotidiennement à ses côtés, ses petits-enfants et arrière-petits enfants et à toute la communauté du Pays de Luchon et bien au-delà, celle qui porte aujourd’hui effectivement et sincèrement son deuil.

Voilà, ta route s’achève, Jean, tu fais pour moi partie de « ces rencontres fertiles qui valent bien des aurores ».

Alors, Adieu Jean, sois sûr, pour ce qui me concerne, qu'en dépit de la mort physique, ces vers de René Char résonnent en moi :

« Avec ceux que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. »

Jean-Louis REDONNET
12-11-2017

lundi 30 octobre 2017

"S'IL VOUS PLAÎT, DESSINE MOI UNE PASSERELLE..."

"S'IL VOUS PLAîT, DESSINE MOI UNE PASSERELLE..."

Texte du discours prononcé lors des cérémonies d'inauguration de la passerelle de Péquerin, des fresques de l'église et des travaux de récupération d'énergie des Thermes de Luchon. (agrémenté de quelques photos commentées)


Bonjour à tous,
Mille excuses, mais aujourd’hui je ne serai pas très protocolaire, pour ne pas vous assommer inutilement.
Toutefois, je sais gré à Alain Castel de m’avoir confié la tâche de rendre compte du chantier de reconstruction de cette nouvelle passerelle de Péquerin, ouvrage d’art acrobatique, que je n’hésite pas à qualifier de symbole de la résilience d’un territoire profondément meurtri par la crue centennale de juin 2013.

J’ai aussi une pensée pour Jean-Pierre Bel, ancien président du Sénat qui, par l’attribution d’une subvention de 50 000€ de sa réserve parlementaire a largement contribué au développement de ce projet d’un montant de 150 000€, en y incluant la remise en état de la "Route 3404", au pied du pont Lapadé.  

La signalétique de la Route 3404
 Il a aussi fallu tracer une nouvelle piste de 300m environ au pied du Pont Lapadé
 La crue avait emporté toute la berge en rive droite...

C’est la contribution tout aussi importante (20% pour chacun) du Conseil Départemental et du Conseil Régional, dont les présidences successives ont toujours eu une oreille attentive à nos préoccupations, qui nous a permis d’aboutir.
Merci donc à Georges Méric et à Carole Delga pour leur soutien sans faille et leur présence aujourd’hui à nos côtés.

 


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Ce matin, ce sont les derniers vers d’Antonio Machado, poète sévillan  retrouvés dans la poche de sa veste à son décès le 22 février 1939, à Collioure, qui me sont venus tout de suite à l’esprit :
« Estos dias azules, y este sol de la infancia. » (Ces jours bleus, et ce soleil de l’enfance)

Pourquoi,  subitement, cet élan poétique?
Parce que, comme Machado, ou à la manière de Saint-Exupéry, je vous demanderai de retrouver quelques instants, l’enfant qui sommeille en vous, car toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants (mais peu d’entre elles s’en souviennent).

Moi, je veux vous proposer de vous entraîner dans un conte qui a débuté le 18 juin 2013, dans le formidable chaos et le vacarme des flots en furie, ravageant tout sur leur passage, expression destructrice d’une gigantesque crue centennale.

 Au pont de Juzet la crue est spectaculaire
 Les commerces et habitations durement touchés
 Le Golf recouvert de sédiments qui étouffent la pelouse
La route de Juzet coupée par les flots

Cette catastrophe, au-delà des dégâts matériels considérables,  a laissé de nombreuses et profondes blessures et souvent un choc traumatique ; et moi, Président de la communauté de communes de l’époque, je n’y ai pas échappé, comme beaucoup dans notre Pays de Luchon.
Mes pas m’ont aussitôt et invariablement conduit aux quatre coins de notre territoire, balloté de Oô à Sainte Christine, de Salles au quai Filhol, tiraillé entre le boulevard De Gorsse  et Badech, des berges de l’One jusqu’à Cier de Luchon : partout la destruction, partout la désolation…
Mais partout aussi la solidarité active…

Retirer les atterrissements sur la Pique au pont de St Mamet 
Reconstruire murs et voirie du Quai Filhol 




 Sécuriser l'entrée de St Mamet en rive droite





Dégager la plage de dépôts de sédiments de la Blanchisserie 




 Dégager et sécuriser le ruisseau de Salles
Intervenir massivement sur le barrage de sainte Christine à Montauban 


 Pour lui rendre un capacité de garde suffisante
 Beau résultat, mais que d'efforts et que d'argent englouti...

 Même opération à Oô, sur le ruisseau de Gouaux

 Curage de la Pique au Bd De Gorsse et reconstruction des murs, du trottoir et de la voirie


Sécurisation de la Rue Ramond et du stade du lycée

 Réfection de la berge de l'aire de Camping-cars
 
Réfection d'une partie de la berge du moulin de Paduran à Cazeaux...

Et tant d'autres chantiers de moindre envergure....

Dans ces parages du Gouffre Marie Louise, la passerelle métallique rigide enjambant la Pique, tout en bas, avait été véritablement pliée comme un vulgaire fil de fer et complètement arrachée de ses socles.
Alors, j’ai parcouru seul ces lieux, un peu abasourdi, assurément proche de l’état d’Antoine de St Exupéry devant son avion accidenté dans le désert ;  et vous ne me croirez pas, mais une petite voix, venue de je ne sais où, me disait chaque fois que je passais sous la tour de Castelvieil :
-« S’il vous plaît, dessine-moi  une passerelle ».
Au début, je croyais à des hallucinations auditives, mais j’ai dû me rendre à l’évidence, il était bien là, cet étrange petit personnage qui me tendait un crayon.
Nous avons dû recommencer de nombreuses fois nos croquis, pour que cette passerelle himalayenne, très aérienne, posée là, au-dessus du gouffre Marie-Louise, lui convienne enfin.
Il me raconta son existence étrange, et me parla notamment de ces baobabs qu’on avait trop tardé à arracher  et qui avaient envahi la planète : il me les dessina et son dessin effrayant était animé par le sentiment de l’urgence.
Je pensais aussitôt aux embâcles de la Neste, de l’One et de la Pique, que nous avions, nous aussi, dû retirer en toute hâte.



 Embâcles dans la Pique

Spectaculaires enlèvements d'embâcles sur la Neste à Saint Aventin 

 En faisant appel à la traction animale : une belle initiative écologique


Il me parla aussi des couchers de soleil, et m’enseigna que « quand on est tellement triste, on aime les couchers de soleil ».
Depuis, je suis régulièrement cette recommandation, dans nos montagnes du Luchonnais, ou celles du royaume de l’Aneto, car pour moi, un beau coucher de soleil est bien plus qu’une réelle consolation.
Puis, il me présenta enfin son ami le renard, qui lui avait prodigué de précieux conseils. J’écoutais notre Goupil, qui me susurra : « Tu diras à tes amis et à tous ceux qui ont travaillé là,  que c’est le temps que vous avez perdu pour votre passerelle qui fait votre passerelle si importante »
 On héliporte le béton et les matériaux de chantier

 On fait appel à l'hélico pour poser les cables supports en traversant l'abîme...

 Des ancrages à plus de 6m de profondeur dans la roche et la pose de suspentes...

 Puis on pose des traverses qui relient les suspentes...

 On finalise en rive droite et on pose les gardes-corps

 La passerelle prend forme et on pose l'escalier d'accès...

 On procède aux essais en charge avec le bureau de contrôle...
 On aménage les abords et les accès...en rive droite

 Puis en rive gauche...
 Un sérieux contrôle général des travaux avant la réception de l'ouvrage...

Et voilà le travail ! 
Prêt pour le passage de l'Aneto trail !

Je transmets donc ce message à Olivia, Ségolène, Emilie, Annie ,Paule , Laurence, Philippe, John, Sophie, Alain, Patrick, techniciens et élus de la communauté de communes, à Jérôme Escoubas, de l’entreprise Extrem, avec Jéremy, Conducteur de travaux, et Maxime, chef de chantier, Rémi et Mickaël, Cordistes et Laurent, chauffeur , Brice Pagès, pilote  de l’entreprise HELIBEARN, les techniciens de TechFun,  ceux de Pyrénées Etudes Ingénierie, ceux de IMSRN Pyrénées, le bureau de contrôle Véritas, le cabinet Wiegert , l’entreprise Pène pour la réfection de la route 3404, les agents responsables de la DREAL, et les responsables de l’ONF.

« Maintenant, lui dis-je, nous sommes devant une réalisation technique remarquable, originale, esthétique et attrayante, dont nous sommes très fiers ! »
Quand je lui eus tenu ces propos, le renard en convint ; mais il ajouta : « Certes, certes…mais on ne voit bien qu’avec le cœur.
L’essentiel est invisible pour les yeux. »

Une fois ces mots prononcés, le petit bonhomme et son ami le renard enjambèrent la rambarde et se jetèrent d’un saut dans le vide.
 « Ils tombèrent doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable du lit de la rivière ». 
Et ils disparurent rapidement, emportés par les flots de la Pique.
Je suis resté longtemps interloqué par les propos du renard, mais peu à peu, j’ai depuis compris combien  ils étaient chargés de sens et combien il avait raison.
L’importance de cette passerelle, au-delà de l’intérêt touristique immédiat par la remise en service du sentier N° 4 qui raccorde le N°3 venu du Bosquet des Thermes à la Cascade de Sidonie ou au 18 et 19 vers le Bois Neuf et Couradilles,  ce sont les symboles qu’elle véhicule : elle jette un pont entre Luchon et Saint-Mamet, trop souvent et si stupidement opposés,  en ré-ouvrant cette fameuse route 3404 entre Bagnères de Luchon et Bénasque, entre le Comminges et l’Aragon, ou encore avec le Val d’Aran par les chemins des échanges économiques et pastoraux ancestraux, fondés sur les traités du Plan d’Arrem en 1513, ou par les voies de la contrebande, par les passages des armées, des randonneurs et des montagnards, et surtout des réfugiés politiques espagnols, des juifs et des résistants, victimes des mêmes barbaries, fascistes et nazies.

Cela doit nous amener bien évidemment à réfléchir à l’accueil et à la solidarité à organiser avec et pour ces migrants d’aujourd’hui, fuyant la mort ou la famine, souvent aussi  pour échapper à des régimes barbares  et totalitaires.
De ces régimes qui détruisent les livres, les manuscrits et le patrimoine architectural, de Tombouctou à Palmyre, vandalisant tout sur leur passage, obéissant aux ordres de dictateurs comme Franco, Hitler, Pinochet , Pol Pot, hier, Ben Laden, Hafez el Assad ou Mohamed Al Baghdadi aujourd’hui, tuant sans remords et sans vergogne, souvent sous les bombes, les populations civiles, éliminant les artistes et les poètes dits subversifs, comme Neruda,  Garcia Lorca, ou Machado, mort en exil, à peine entré en France.

C’est pourquoi je tiens à lui rendre aussi un bref hommage,  à lui cet immense poète, cet agitateur de consciences, en célébrant cette passerelle et cette route, par la lecture de quelques uns de ses vers,  et ce sera ma conclusion, car moi aussi : 
Yo voy soñando caminos. (Moi, je rêve de chemins…)

Caminante, no hay camino 
Voyageur, il n'existe pas de chemin
Todo pasa y todo queda, 
Tout passe et tout demeure,
pero lo nuestro es pasar,
mais le propre de l'homme est de passer,
pasar haciendo caminos,
passer en traçant des chemins,

Caminante no hay camino,
Toi qui voyages, il n'existe pas de chemin,
se hace camino al andar...
le chemin se fait en marchant...

Golpe a golpe, verso a verso.
Coup après coup, vers après vers.


Alors, amis, si un jour vous empruntez  cette passerelle, songez un peu au Petit Prince et beaucoup à Antonio Machado….